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contours du dessin étaient donnés par les statues. Les figures de Poussin sont filles de statues. Elles ne disent pas de mensonges, en ce sens que ce qu’elles disent peut être dit par les muscles sans grand effort, mais ce ne sont que des vérités générales, des vérités statuaires, dictées par l’artiste à un modèle d’atelier. Elles sont solides, mais inutiles, lourdes et sans esprit. Le dessin de Watteau est plein d’esprit, quoique de vérité. Voyez les épaules : ce ne sont point de simples porte-manteaux, elles se meuvent et impriment au tissu qui les drape de longues ondulations, tout un sillage des plis révélateurs de ce qui a bougé. Voyez les mains : elles ne touchent les objets que par le bout du doigt, là où réside surtout le sens du toucher. Voyez les jambes : elles ne portent pas sur les talons, mais bien sûr la plante des pieds, — ce qui donne à toute la figure son élasticité surprenante. C’est très visible dans les deux principaux pèlerins de l’Embarquement et, à moindre degré, on le retrouve dans presque toutes ses figures.

On a dit de lui : « infiniment maniéré. » Oh ! entendons-nous. Il y a de la « manière » dans le geste de la femme qui s’en va, se retournant, passe la main derrière le dos et remonte coquettement sa jupe pour l’empêcher de traîner. Il y a de la « manière » dans le cavalier qui verse son épaule sur elle, pour lui parler de plus près, en faisant des grâces. Il y a de la fatuité dans cet autre qui retrousse sa cape, ou bien en ce causeur qui accompagne ses périodes avec des ronds de bras en battant l’air de ses doigts... Mais la « manière » n’est nullement dans la traduction qu’en donne l’artiste : elle est dans le texte humain. Les actions de ces êtres exquis sont peut-être maniérées et compliquées, mais le dessin qui les rend est simple et juste. Ne confondons pas la simplicité du sentiment, qui dicte un geste, avec ce geste même. L’un peut être artificiel et l’autre pris sur le vif. Les petits maîtres de Watteau posent peut-être, et c’est un pas de ballet qu’ils esquissent en entraînant les pèlerines de Cythère et en se cambrant complaisamment, dans leur joie de se sentir le torse si souple et leur cape si légère, ou encore en jouant au diabolo avec si peu d’attention qu’on l’ignore et qu’on les prend pour des Indifférents, ou en croisant les jambes et en virevoltant de la tête, tandis qu’ils tourmentent leur guitare, — mais c’est eux qui font des grâces et non pas Watteau. Il se borne à les saisir.