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ne font pas de gestes de métier, sauf les guitaristes : ils ne font aucun geste utile, nulle besogne. Ils n’expriment guère de passion. Ils n’expriment que la souplesse naturelle des membres. Cela est nouveau. Les Primitifs avaient réalisé le geste efficace, les Renaissants avaient cherché la beauté plastique du geste, les décadents de la Renaissance seulement son arabesque, les Français du XVIIe siècle, Poussin ou le Sueur, sa signification dramatique. Watteau est le premier en France, qui se préoccupe de sa justesse pour elle seule et de sa subtilité. De là, une conséquence notable. Avant lui, le geste est choisi ou arrangé dans deux buts, ou pour sa grâce et son arabesque, — comme on arrange un rinceau ou un ornement, — ou pour sa signification morale. Il est décoratif ou démonstratif, dans les deux cas ostentatoire et voulu. Chez lui, il est précis, nuancé, spontané, mesuré. Ni hâte, ni effort, pas même d’ostentation. Il y a plus d’ostentation dans le Bossuet de Rigaud que dans le plus vaniteux Mezzetin faisant la roue, — et moins de naturel. Largillière étale les mains en espalier, les tourne et les bistourne selon une idée de la grâce qu’il a. Poussin les tend pour une démonstration, le doigt indicateur d’une inscription, ou d’un personnage. Le Sueur leur fait désigner toutes sortes de choses et de gens, et le ciel par-dessus le marché. C’est une mimique de sourds-muets. Watteau ne leur fait rien exprimer de tout cela, qu’exprimerait bien mieux un texte écrit ; mais il leur fait dire ce qu’il est impossible à l’art littéraire de rendre avec cette précision : les moindres nuances de la sensibilité tactile, choses inexprimées et parfois insoupçonnées jusqu’à lui. La précision du geste, on l’avait bien déjà vue chez les Flamands et les Hollandais, mais du geste figé, suggérant un seul temps du mouvement : — ce qui donne aux plus parfaites figures de ces petits maîtres une odeur de photographies immobilisées par le « ne bougeons plus ! » Mais le geste saisi au moment où il continue celui d’avant et annonce celui qui suivra, Watteau l’a saisi le premier. Ses figures sont aussi peu agitées que celles des Hollandais, mais elles vivent. Un maximum de mouvement dans un minimum d’action, — c’est-à-dire l’illusion de la vie, — voilà ce qu’il apporte de neuf.

Il a ainsi préfiguré le dessin moderne, celui qui serre de près l’inflexion la plus tenue dans ses raccourcis et ses ellipses, sans appuyer sur rien, sans tout dire. Quand il parut, les grands