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il arrive très souvent que des figures soient posées plus haut et d’autres plus bas que la ligne des yeux. Sans doute parce qu’il les avait prises séparément, dans ses croquis d’après nature et qu’il les a réunies, sans s’inquiéter de cette discordance. En tout cas, c’est cette discordance, fortuite ou voulue, et d’ailleurs à peine sensible, toute en nuances, qui donne à ses groupes du mouvement, même quand ils ne font pas le moindre geste et qu’ils ont une attitude qu’on peut garder indéfiniment.

Tel est le caractère spécifique de Watteau : beaucoup de vie et de mouvement dans une action très lente et dans l’inaction même, le contraire diamétral de ce qui se passe chez les peintres académiques, les Sabines de Poussin et de David, par exemple, où l’on voit des actions violentes et rapides sans aucun des frémissements de la vie. Cette impression est due, aussi, à une infinité de petits mouvements contrastés qui nous font percevoir ce qui vient de se passer dans le jeu des muscles et pressentir ce qui se passera. Par exemple, la femme assise vue de dos dans la Réunion autour d’une statue de Vénus, à Dresde. Elle s’est assise, portant d’abord sur sa jambe gauche qui est encore repliée ; elle s’est penchée en avant, ce qu’indique le raccourci des épaules ; et une fois en avant elle s’est penchée à droite, ce que souligne l’omoplate droite saillante tandis que la gauche est rentrée, et elle pèse sur la main droite, à terre. Elle ne peut plus changer de place qu’en se reportant à gauche, d’abord, avant d’exécuter quelque autre mouvement. Si quelqu’un veut l’aider à se remettre debout sur ses pieds, comme sa sœur de l’Embarquement, qu’un pèlerin tire à lui par les deux mains, l’opération sera difficile, tout le poids du corps étant porté en arrière. La pèlerine est donc surprise dans la posture la plus maladroite pour le but cherché et aussi la plus naturelle, — car il est naturel d’être maladroit dans une entreprise aussi inusitée. Mais c’est la suprême adresse de l’artiste que de nous le faire sentir.

Ce qui amusait le plus Watteau dans la figure humaine, c’était la posture. Quand il en avait trouvé une, divertissante et révélatrice, il la mettait un peu partout, sans grande raison, et elle faisait bien où qu’il la mit. Je ne dis point « révélatrice » d’un sentiment ou d’une idée, — c’est-à-dire dans l’ordre dramatique ou didactique. Cela, c’est du Poussin, c’est du David, c’est du Greuze : c’est le langage des gestes appris dans les écoles, toujours conventionnels. L’intention trop appuyée mène vite à