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et tirés afin de la dégager entière, mais parce que l’occiput ne bombe pas sur la ligne du cou. Ils n’ont pas la même mimique : « homme est agité, la femme immobile ; il fait de grands bras, elle se contente de lisser les plumes de son éventail. Elle fait parfois un léger geste de défense on ne sait trop pourquoi : le geste du parleur ne la menace pas, il vise bien loin, à l’horizon. Peut-être pressent-elle que les aperçus lointains et les théories grandiloquentes de ce philosophe en béret pékiné rose ne sont que le chemin le plus rapide pour aller au but, qui est tout près. En tout cas, le geste de l’homme est toujours en extension, à moins qu’il ne soit obligatoirement ramené autour d’une guitare ; le geste de la femme est toujours en flexion, à moins qu’elle ne soit obligée de soutenir le col de son archiluth. Tous les deux ont l’air d’être saisis dans une attitude passagère et qui va se modifier, impression subtile de vie et de mouvement dans l’immobilité. C’est qu’ils sont vus sous un angle parfaitement naturel, mais où l’on n’a pas l’habitude de se placer. Ils sont vus de bas en haut, comme on voit les acteurs sur la scène quand on est au parterre, ou de haut en bas, comme on les voit si l’on est au poulailler, et à la fois de haut en bas et de bas en haut, dans la même composition. Donc, toujours en raccourci. On aperçoit le creux des narines, le triangle que fait le menton et la mâchoire, l’enflure des pommettes bombant au-dessous des yeux — ou bien, au contraire, la circonférence du crâne, des tempes, et la ligne des sourcils dans son plus grand développement ondulatoire, le reste du visage fuyant en pointe. Même si la tête est vue de face, et sur le même plan que le spectateur, elle se renverse presque toujours en arrière, ou se penche imperceptiblement en avant, de façon que le visage s’ordonne en perspective. Voilà ce qui donne aux traits un mouvement inattendu et continu.

Il est possible que Watteau en ait pris l’idée au théâtre en remarquant l’accent que prennent les ligures lorsqu’on les aperçoit en raccourci et que, les ayant dessinées là quelquefois, il les ait alors, et sans trop y songer, transportées ainsi à la ville et dans le parc. Mais le phénomène est constant. Soit qu’il se mette plus bas que ses personnages, comme dans l’Embarquement pour Cythère, soit qu’il se mette plus haut, comme nécessairement quand il y a des figures assises ou de-mi-couchées à terre, on sent toujours le raccourci. Et, dans la même composition,