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est plus vivant dans ses allégories que Miéris, Terborch ou Gérard Dow dans leurs exactes scènes d’intérieur. Il peut arriver même que le document cache la vie. Peindre une perruque au temps de Louis XIV et une redingote sous Louis-Philippe, ou plus tard, avec Manet, le pantalon « pied d’éléphant, » équivaut à dissimuler le crâne, le cou, la naissance des cheveux, les oreilles, toutes sortes d’indices fort individuels, ou bien engloutir la taille, les bras, le buste dans une enveloppe ; c’est nous empêcher de voir comme ils sont faits, alourdir le geste de tant de matière que la vie en est diminuée. Ce n’est pas du tout révéler un caractère du personnage : c’est seulement donner un modèle aux costumiers. C’est du poids mort.

Regardez les bonshommes de Watteau : nul n’a moins de poids mort. Toute la force et tout le poids sont dans le buste. Le reste ne sert qu’à jouer et à éprouver des sensations tactiles. Les têtes sont à l’évent. Ils ne pèsent pas, ils ne pensent pas plus qu’ils ne pèsent, et ils s’appliquent moins encore. Les pieds tâtent à peine le sol, les mains ne palpent que l’air. L’Arlequin au loup noir, qui parle en décrivant de grands gestes à une dame un peu effarouchée assise auprès de lui, dans Voulez-vous enchanter les belles ? ne prend appui sur aucun des bras, ni aucun des pieds : pourtant il est solide et ne cherra pas. Cela se sent jusque dans le grand Gilles ou Pierrot du Louvre, pourtant planté comme un monolithe, et que ses gestes ne sauraient soutenir en l’air puisqu’il n’en fait pas. Regardez ce losange blanc, si léger dans son ampleur et sa niaiserie ; c’est que toutes les lignes convergent en s’évasant, c’est-à-dire en portant leur poids vers le centre ; les plis du pantalon sont tirés vers la ceinture ; les lignes de la collerette tombent en s’évasant sur la poitrine ; les manches plissées en accordéons, au milieu des bras, y mettent le point fort ; enfin, la poitrine réfléchit et concentre les rayons lumineux comme une lentille. Toute l’épaisseur, la force, la clarté sont au centre et maintiennent la figure comme suspendue. Elle ne pèse pas une once.

Voilà un trait commun aux hommes et aux femmes. D’ailleurs, ils ont l’air d’appartenir à deux races différentes. L’homme, est grand, a « l’encolure déchargée, la jambe sèche et qui porte au vent, » comme on disait alors. La femme est parfois plus courte, surtout des bras ; la nuque toujours montant très haut, non seulement parce que ses cheveux sont relevés