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gazons déblayés, les belles dames envolées sans plus de trace que le trou des talons dans l’herbe, les vasques pleurant sans que nulle oreille humaine les écoute, et leurs dauphins de pierre ouvrant leur œil rond sur une scène dépourvue d’intrigues, — il y aura encore un paysage délicieux, chimérique, complet, qui se suffit à lui-même. Et cette « pensée de paysage, » comme il disait lui-même, est une chose très nouvelle. Regardez dans les salles voisines les arbres de Poussin, les masses compactes de ses feuillages... Les arbres de Watteau sont tout autres, point encore étudiés dans leur essence ni fortement caractérisés comme ceux de Barbizon, mais déjà vivants. Les feuillages ne sont plus de la ferronnerie, comme chez les classiques, lustrée, vernie, rigide, et ce ne sont pas encore des ouragans de feuillages comme plus tard chez Fragonard. Ce sont des arbres calmes, souples, aérés et mouvants. Parfois ils montent en fusées fines comme des jets d’eau et retombent à la manière des cascades écumeuses. Plus souvent, ils ondulent comme plumes au vent, marabouts projetés en plumages oscillants. Toujours, ils palpent l’air par leurs myriades de feuilles, menues, éparpillées dans le ciel. C’est seulement quand le soir vient simplifier leur silhouette, qu’ils s’encapuchonnent et ne profilent plus que des dômes suspendus au-dessus des troncs. On retrouve en eux les mouvements du charme, de l’orme, du saule, parfois du bouleau et de l’acacia. C’est l’acacia, essence relativement nouvelle en France, qui a donné l’idée des courtes branches, vivement articulées, qu’on voit souvent et c’est la feuille de l’acacia, dont le ton est si particulier, qui a dicté les ombres bleuâtres des feuillages compacts. Mais le plus souvent, l’arbre de Watteau est indéfinissable, comme son sujet et son intention mêmes. Il a tout l’incertain et toute la poésie de l’arbre de Corot, et du Romantisme.

Que Watteau ait préfiguré aussi le Romantisme, c’est évident pour qui a lu ses poètes. Tout ce chef-d’œuvre d’Hugo la Fête chez Thérèse n’est guère d’un bout à l’autre qu’un Watteau ; les strophes les plus fameuses de Verlaine y ramènent de façon irrésistible, et parfois Musset. Comment est-ce possible ? Les gens de Watteau sont de la comédie légère, son action de la comédie galante, ses décors d’Opéra, ses artifices du règne de Louis XIV et de la Régence... tout cela est l’opposé du sentiment romantique. C’est possible grâce à son paysage. C’est lui qui pénètre