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bustes et les bras hors des jabots, des manteaux et des lourdes manches. Ses Arlequins ou ses Mezzetins portent soit le justaucorps collant, soit de légers costumes qui dessinent les moindres inflexions du buste. De la carapace que lui avaient mise la mode et l’étiquette, un homme est sorti, svelte, mince, désinvolte, et s’est mis à faire des gestes. Alors les bras jusque là contraints à soulever le lourd cumulus des draperies ostentatoires, se sont insinués sous des mantilles, les mains étalées en espalier ont repris l’usage de leurs doigts et ont pincé des cordes chantantes, et les pieds, d’un pas léger, ont mené tout le monde vers Cythère. Théâtral par son origine, son costume l’est moins en réalité que celui des gens de cour à cette époque, juchés sur des échasses, ensevelis sous des perruques et harnachés de broderies, tirés à terre par le poids formidable des velours. Artificiel, il est infiniment plus naturel que le grand habit en usage, parce qu’il serre de plus près la forme humaine. Il la laisse mieux deviner, il indique de plus près les gestes et les moindres inflexions.

Et puis, les gestes du Mezzetin guitariste ou de l’Arlequin bateleur, du Pierrot ou de Scaramouche, sont plus révélateurs des muscles que les attitudes compassées du courtisan. Watteau est donc allé au théâtre pour retrouver la nature et au travesti pour dégager l’être humain, enfoui, perdu et même oublié depuis près d’un siècle sous les fausses apparences des costumes du temps. Et ceci n’est un paradoxe qu’en apparence. Il faut, pour le voir, se débarbouiller l’esprit de cette épaisse crasse de préjugés que les écoles réalistes jadis, et aujourd’hui l’enseignement officiel, y ont déposée, entre autres celui-ci que l’art pour être vivant doit exprimer son temps. Watteau n’a nullement représenté son temps, et il a créé une telle vie que les temps à venir viendront toujours y puiser. La perruque, les manteaux, les dentelles, le grand habit, réellement portés de son temps, masquaient la vie : avec ses justaucorps de comédie, il l’a retrouvée.

De même, en délaissant le parc à la française tout à fait caractéristique de son temps, il a retrouvé la nature. Regardez le décor habituel où se meuvent ses figures. C’est bien un parc, apparemment, puisqu’on y voit un banc de pierre, on y soupçonne un faune ricanant dans sa gaine de marbre, on croit y entendre une vasque qui pleure toutes les larmes de sa nappe d’eau effilochée et tombante, on y devine une allée qui s’enfuit. Mais ce