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S’il est vrai, comme on l’enseigne de nos jours, que l’artiste ne peut puiser la vie que dans l’observation des scènes journalières, ni l’exprimer que par la reproduction des choses et des costumes de son temps, — voici l’Art le plus froid, le plus morne, le plus dénué de sensibilité qui fût jamais !

Rien n’y est « vécu, pas même les costumes ! Les modes ! Il suffit quand on a vu les Watteau de la salle Lacaze, la Finette et l’Assemblée dans un parc, de se retourner vers le panneau d’en face et de regarder le triple portrait de Largillière, de sa femme et de sa fille, pour voir ce que Watteau en a fait. La mode, il est vrai, est en train de changer, mais il la pousse bon train : il décharge, il désagrafe, il désengaine, il simplifie les lignes voulues par la modiste et multiplie toutes les autres. La fontange s’est écroulée, la basquine s’est allégée, le « corps, » cette cuirasse en pointe où les femmes contraignaient leur buste, s’est assoupli. Alors, paraît dans ses tableaux cette longue robe ample et flottante, qui va de la nuque aux talons d’un seul ruissellement de plis, d’abord en chute droite et serrée, puis en cascade tournoyante et, enfin, en nappe étalée. Elle paraîtra longtemps dans les Assemblées du XVIIIe siècle : on la verra encore, telle quelle, dans certains tableaux d’Hubert Robert, en 1773. Mais elle a paru chez Watteau, d’abord. Il a dessiné, le premier, ce qui devait être la ligne maîtresse du costume féminin et lui a donné le mouvement qui devait l’animer pendant soixante ans. Voilà une préfiguration. Et en cela il fait œuvre de couturier. Il ajuste et il habille. Ce n’est pas le débraillé de Greuze et l’hiatus des fichus, qu’on voit même chez ses « accordées, » ce n’est pas le déroulement orageux de Fragonard, ce n’est pas le déshabillé de Boucher. C’est le goût mesuré, d’un laisser-aller discret, au moment précis où se sent la saveur de la liberté et non le libertinage. En même temps, il effondre les coiffures : il n’y a plus qu’un petit bonnet de dentelles en pointe sur le front, ou bien rien du tout : les cheveux relevés le plus simplement du monde selon leur mouvement naturel et ramassés en un chignon. Regardez ses études de têtes dans les dessins au Louvre : ce sont des coiffures du XIXe siècle que voici, déjà portées du temps de Clouet. Impossible d’y deviner des contemporaines de Mme de Maintenon.

Pour l’homme du temps de Louis XIV, son costume est encore trop raide et trop rigoureusement déterminé par l’étiquette.