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qui les a recueillis. La collection Denon, dispersée en 1826, contenait, dit-on, un Concert champêtre de Watteau. « Trois unes musiciens sous la direction d’un batteur de mesure et une jeune femme en train de les écouter. » Le catalogue porte, parait-il : « Précieux tableau dans lequel Watteau a imité le Giorgione. » C’est fort possible et c’est très indifférent. Le divertissement de la musique dans un jardin est un rêve de bonheur célébré, de tout temps, par les artistes. Mais nul n’y a mis autant de nonchalance que Watteau. Il ne nous offre même pas un Concert. D’habitude, il n’y a qu’un musicien et il ne joue pas toujours : il accorde le plus souvent son théorbe ou son archiluth, ce qui, parait-il, était la principale occupation des virtuoses, en ce temps-là. Parfois, un couple esquisse un pas de danse. Les autres font cercle et ne le regardent pas. Ils ne s’occupent que d’eux-mêmes. La sociabilité lésa mis en grappes, l’amour les égrène. Les groupes se nouent et se dénouent avec la tranquille aisance des figures liquides qui courent à la surface des fleuves. Nul couple ne s’inquiète du voisin, bien que la réunion totale forme une chaîne, sans solution de continuité. C’est l’égoïsme à deux. L’action est nulle. On n’imagine pas, non plus, grand bruit : une guitare bourdonne comme une guêpe, les éventails bruissent comme des feuilles, une flûte chante comme un oiseau, une source dans l’ombre chuchote comme la voie insinuante de quelque Mezzetin à l’oreille paresseuse de sa Colombine. Les yeux dans les yeux, ne regardant qu’un point dans ce vaste univers, indifférents à ce qui n’est pas eux-mêmes, attentifs seulement aux gestes l’un de l’autre, et ne semblant même pas y attacher une grande importance, ils ne sortiront de leur béatitude contemplative que pour s’en aller, dans une languissante étreinte, vers le lointain qui se creuse ou l’ombre qui s’épaissit. Alors seulement, ils tourneront la tête vers ceux qui restent, pour les plaindre ou pour les envier, on ne sait, ou pour juger du point où ils en sont de leurs mensonges.

Tel est le sujet. Il n’en est pas de plus vague, de plus indéterminé, de plus impossible à raconter, de plus dénué d’intérêt pour les esprits logiques, en un mot de plus contraire à l’idéal du XVIIe siècle. Le XVIIe siècle ne rêve pas : il raisonne ou il raconte. Parfois il raisonne et raconte à la fois, comme Poussin. Mais jamais il ne s’enthousiasme, ni ne se délecte dans un aspect de la nature. Il ne laisse l’imagination se donner carrière que dans