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dans les œuvres de l’esprit humain, ce qui a été, en quelque temps que ce soit, personnel et spontané. Car ce qui n’est pas toujours jeune, en Art, ne l’a jamais été. Retournons au Louvre, dans la salle du XVIIIe siècle, voir l’Embarquement pour Cythère et, salle Lacaze, le Gilles, la Finette, l’Indifférent ; arrêtons-nous longuement devant l’Assemblée dans un parc. Revoyons aussi ses sanguines, dans les salles consacrées aux dessins. Peut-être trouverons-nous le secret de cette jeunesse éternelle. En tout cas, nous en démêlerons aisément les caractéristiques, si nous comparons l’œuvre de Watteau avec ses devancières et, — si nous la confrontons avec les modernes, — les préfigurations.


I

D’abord, le sujet et la composition. Watteau qualifiait ainsi un de ses tableaux en le vendant au duc d’Orléans : « Un jardin avec huit figures. » Et c’est bien là, en effet, le seul titre qu’on puisse donner à la plupart de ses toiles, en modifiant seulement le chiffre des personnages. Cela dit tout et n’évoque rien : le tableau ne dit rien et évoque un infini : c’est le propre de la peinture.

On a fait presque autant d’hypothèses sur les scènes galantes de Watteau que sur le Printemps de Botticelli ou le Concert du Giorgione. Et avec aussi peu de succès, parce qu’on y cherche ce qui n’y est pas : un « sujet » ou une action dans le sens dramatique du mot et l’on n’y voit pas ce qui a fixé le choix de l’artiste et ce qui nous enchante : un thème esthétique, c’est-à-dire un faisceau de lignes expressives de l’être vivant et une symphonie de couleurs. La caractéristique de ce thème presque invariable, c’est une inaction complète ou une action très lente, dans un milieu immobile et reposant, avec une échappée vers quelque lointain prestigieux ou, au moins, le mystère. Tels sont le Songe du Chevalier de Raphaël ou son Apollon et Marsyas, l’Amour sacré et l’Amour profane de Titien, même certaines Conversations sacrées du Pérugin ou de Boltraffio, où l’on voit de beaux éphèbes lardés de flèches, des vieillards candides, des femmes parées, debout, les uns à côté des autres sans rien faire, sans rien dire, dans la béatitude tranquille d’une vie que plus rien ne menace et avec un joli geste parfois un peu précieux, mais mesuré, prudent, pour ne rien déranger au paysage obligeant