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profondément. « Si pourtant Morphée m’eût amené la fille de l’hôte, je pense bien que je ne l’aurais pas renvoyée ; il ne le fit point et je m’en passai. »

Concluons que, si la femme de La Fontaine avait eu toutes les vertus, même celles dont lui-même manquait le plus, le ménage n’eût pas été beaucoup meilleur. Il n’avait pas la fibre conjugale.

Avait-il davantage la fibre paternelle ? Il se souvient de son fils, pour tâcher d’éveiller la compassion du duc de Bouillon, il s’en souvient encore dans une lettre à sa femme pour la prier de faire des recommandations à leur marmot » : « Dites-lui que peut-être j’amènerai de ce pays-là quelque beau petit chaperon (une servante limousine) pour le faire jouer et lui tenir compagnie. » Dans toutes ses œuvres, aucune autre allusion à son enfant. On a dit qu’il avait remis à Maucroix le soin de l’éducation de son fils : c’est pos-sible ; une petite-fille de La Fontaine l’a affirmé, mais il faut se méfier des renseignements donnés par les descendants du poète. On a dit aussi qu’il aurait trouvé à son fils un emploi chez M. de Harlay et qu’en remerciement il aurait dédié au procureur général du Parlement les deux volumes des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine publiés en 1685. Peut-être ; mais, dans l’épitre dédicatoire, pas un vers, pas un mot qui fasse allusion au service rendu. Négligeons les anecdotes et en particulier celle de La Fontaine passant un jour près de son fils sans même le reconnaître, mais retenons ces lignes qui dans le Voyage en Limousin terminent le portrait du vieux Pidoux. « De vous dire quelle est la famille de ce parent, et quel nombre d’enfants il a, c’est ce que je n’ai pas remarqué, mon humeur n’étant nullement de m’arrêter à ce petit peuple. » Il n’a jamais été tendre pour ce petit peuple, cela se voit dans nombre de ses fables.


V. — LA FONTAINE AU LUXEMBOURG

L’infortuné Jannart demeura longtemps à Limoges. Mais La Fontaine revint bientôt chez lui, ce qui semble prouver qu’il n’avait pas été véritablement exilé. Le 14 janvier 1664, il était à Paris où il obtenait un privilège du Roi pour l’impression de son premier recueil de contes.

La même année, le 14 juillet, il prêtait serment comme gentil