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il n’y a que les romans qui vous divertissent. » Or lui-même se plait, c’est lui qui nous l’a dit, aux « livres d’amour. » Il espère pourtant qu’en badinant il pourra l’accoutumer à l’histoire des lieux et des per-sonnes. « Vous auriez, dit-il, de quoi vous désennuyer toute votre vie pourvu que... » Et voici le coup de grâce : « pourvu que ce soit sans intention de rien retenir, moins encore de rien citer. Ce n’est pas une bonne qualité pour une femme d’être savante ; et c’en est une très mauvaise d’affecter de pa-raître telle. » Ce discours à la manière de Chrysale veut dire en termes moins polis : Vous êtes, ma bonne amie, une pécore fainéante et prétentieuse, revêche et désordonnée, romanesque et pédante ; vous êtes insupportable.

Voilà, pour une part, le secret du mauvais ménage de La Fontaine ; pour l’autre, la plus grande, ce sont les frasques du mari, l’exemple de son indolence, cet air de n’être pas marié qui, au dire de Tallemant, faisait sécher de chagrin la délaissée. Et c’est justement cet air-là qu’il prend à tout propos dans ses lettres. Il n’a pas encore quitté Clamart qu’il songe déjà aux Limousines et à leurs « chaperons de drap rose-sèche sur des cols de velours noir : » s’il trouve un de ces jolis chaperons, il se promet de s’y amuser, « et par curiosité seulement, » ajoute-t-il. En effet il ne raconte à sa femme que ses « curiosités, » mais elles sont innombrables : une par étape. A Blois, il se fait montrer quelques jolies femmes, « comme à son ordinaire. » Dans les allées du parc de Richelieu, il rêve d’une « aventure amoureuse. » A Châtellerault, il voit une de ses parentes, grande fille à qui la petite vérole n’a pas enlevé toutes ses grâces ; il l’entretient peu et de choses in-différentes, mais s’il eût fait un plus long séjour, il l’eût « tournée de tant de côtés » qu’il aurait découvert « ce qu’elle a dans l’âme et si elle est capable d’une passion secrète ; » tout ce qu’il sait d’elle, c’est qu’elle aime fort les romans ; et ceci à l’adresse de sa femme : « C’est à vous qui les aimez fort aussi, de juger quelle conséquence on en peut tirer. » Il ne traverse pas Poitiers ; on lui a dit que la ville est « mal pavée, pleine d’écoliers, abondante en prêtres et en moines, » il regrette pourtant de ne l’avoir point vue, car « il y a en récompense nombre de belles, et l’on y fait l’amour aussi volontiers qu’en lieu de la terre. » A Bellac, rien ne lui aurait plu sans la fille du logis « jeune personne et assez jolie ; » après l’avoir cajolée « sur sa coiffure, » il va se coucher et s’endort