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forêts de Château-Thierry ; mais un jour Antoine aurait reparu sous un uniforme d’officier de dragons ; entre Mars et Phœbus, la provinciale n’aurait pas hésité. Le bel officier se serait installé à Château-Thierry et y aurait passé sa vie auprès de Mlle de La Fontaine. On prétend même qu’il aurait « sans doute » vécu aux crochets de sa cousine. Ce récit qui ne repose sur rien, a été inventé, en 1894. Depuis, il a été repris, certifié, et amplifié par nombre de critiques qui en ont tiré les déductions psychologiques les plus saugrenues.

Sur son ménage, consultons encore La Fontaine. Par deux fois il a confessé ses torts. C’est d’abord dans les derniers vers des Aveux indiscrets.


Le nœud d’hymen doit être respecté,
Veut de la foi, veut de l’honnêteté.
……….
Je donne ici de beaux conseils, sans doute :
Les ai-je pris pour moi-même ? hélas ! non.


Plus significative encore la soudaine réticence qui, dans Philémon et Baucis, termine le tableau de la métamorphose des deux vieux époux :


Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.
……….
Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre
Ils s’aiment jusqu’au bout, malgré l’effort des ans,
Ah si !… Mais autre part j’ai porté mes présents.


Et autre part il les porta jusqu’à l’extrême vieillesse.

Quant à sa femme, dès les premières lignes de la première lettre du voyage en Limousin, nous apprenons ce qu’il pensait d’elle, et nous savons les raisons, bonnes ou mauvaises, qu’il avait eu de porter ses présents autre part.

D’abord il accuse Mme de La Fontaine de n’aimer lire que des romans. S’il lui adresse le récit de son voyage, c’est dans l’espoir de lui donner ainsi le goût des lectures sérieuses. « Vous ne jouez, dit-il, ni ne travaillez, ni ne vous souciez du ménage. » Il est admirable, La Fontaine : il reproche à sa femme 1o de ne pas aimer le jeu, lui qui peut-être l’aimait trop ; 2o de ne pas travailler, lui qui se vantait de sa paresse ; 3o de ne point s’occuper du ménage, lui qui mangea tout son bien. Et il continue : « Hors le temps que vos bonnes amies vous don-nent par charité,