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On pont encore supposer qu’il a été trompé, qu’il n’a pas tenu à en avoir l’inutile certi-tude, qu’il a, lui aussi, refusé de porter à ses lèvres la coupe enchantée.


Qu’est-ce enfin que ce mal dont tant de gens de bien
Se moquent avec juste cause ?
Quand on l’ignore, ce n’est rien.
Quand on le sait, c’est peu de chose.


Après avoir lu ces vers-là et bien d’autres du même ton, de consciencieux historiens dissertent encore sur l’opinion de La Fontaine touchant la vertu de sa femme ! Comme ils sentent qu’en ces sortes d’affaires un syllogisme n’est pas irrésistible, ils allèguent une des Historiettes de Tallemant :

« Sa femme, raconte l’anecdotier, est une coquette qui s’est mal gouvernée depuis quelque temps. Il ne s’en tourmente pas. On lui dit : « Un tel cajole votre femme. — : Ma foi, répond-il, qu’il fasse ce qu’il pourra, je ne m’en soucie pas. Il s’en lassera comme je l’ai fait. » Elle dit qu’il rêve tellement qu’il est quelquefois trois semaines sans croire être marié. Cette indifférence a fait enrager cette femme, elle sèche de chagrin. Lui est amoureux où il peut... »

Voilà, certes, un bien mauvais ménage. Tallemant, quoique fort méchante langue, est ici un témoin assez sûr, car il était très lié avec Maucroix et La Fontaine. Cette Historiette a été écrite en 1657, dix ans après le mariage. Mais à tout prendre, elle démontre qu’alors Mlle de La Fontaine « séchait de chagrin. » Or, si elle « séchait de chagrin, » c’était, selon toute apparence, qu’elle n’avait pas encore trouvé de consola-teur...

« Mais elle en a trouvé un ! s’écrient les personnes qui veillent sur l’honneur de La Fontaine, et nous le connaissons, c’est Antoine Poignan, offi-cier de dragons. » Elles nous renvoient à l’Histoire de l’Académie française par l’abbé d’Olivet et aux Mémoires de Louis Racine sur la vie de son père.

Selon d’Olivet, Mme de La Fontaine ne manquait « ni d’esprit ni de beauté, » mais pour l’humeur, elle tenait fort de cette Mme Honesta que La Fontaine a dépeinte dans son conte de Belphégor. « Aussi ne trouvait-il d’autre secret que celui de Belphégor pour vivre en paix. Je veux dire qu’il s’éloignait de sa femme le plus souvent et pour le plus longtemps qu’il pouvait, mais sans aigreur et sans bruit. » Il n’est pas impossible, que