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n’en ai point encore parlé, me réservant de le faire à propos de ces lettres adressées à Mlle de La Fontaine. Nulle part ailleurs, il n’a soufflé mot de sa femme.


IV. — Mlle DE LA FONTAINE

La Fontaine avait épousé, en 1647, Marie Héricart, fille de Louis Héricart, lieutenant criminel de La Ferté-Milon, maire perpétuel de cette ville. Il avait vingt-six ans, et elle quatorze et demi ; en 1653, ils eurent un fils ; en 1658, ils se séparèrent de biens ; le ménage fut désuni, et durant la seconde partie de sa vie, le mari vécut loin de sa femme : voilà tout ce que nous connaissons de l’existence conjugale de La Fontaine. Nous savons aussi qu’il a constamment trompé sa femme, il n’en a jamais fait mystère. Mlle de La Fontaine lui a-t-elle rendu œil pour œil, dent pour dent ?

On l’a soutenu en vertu d’un raisonnement singulier. La Fontaine, a-t-on dit, a témoigné à sa femme la froideur la plus méprisante. Or supposer qu’il a pu, sans d’excellentes raisons, observer une pareille attitude, c’est lui faire injure ; s’il n’a pas été trompé, c’est un homme abominable. Donc il faut, pour son honneur, qu’il ait été... trompé.

L’a-t-il été ? je l’ignore et me résigne volontiers à l’ignorer. S’il le fut, il ne dut pas s’en faire un long souci ; il était « chose légère. » S’il ne le fut pas, je doute qu’il en ait su beaucoup de gré à Mlle de La Fontaine. Il a dû éprouver quelque déplaisir en voyant que sa femme ne l’aimait point ou avait cessé de l’aimer, car, dans un joli conte égaré parmi ses fables. il plaint un mari amoureux de sa femme, et pour qui celle-ci n’a jamais


Propos flatteur et gracieux,
Mot d’amitié, ni doux sourire
Déifiant le pauvre Sire.


Et il ajoute


... Si l’amour n’assaisonne
Les plaisirs que l’hymen nous donne
Je ne vois pas qu’on en soit mieux [1].


Mais, déçu dans son amour, a-t-il attaché grande importance à la fidélité de son épouse ?

  1. Le mari, la femme et le voleur.