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il ne reste plus trace des bâtiments), Richelieu, qui n’y vint jamais, y avait fait entasser d’inestimables chefs-d’œuvre. La Fontaine en parcourt les appartements, les galeries et en énumère les richesses, d’après les renseignements que lui fournit une concierge obligeante. On n’avait pas encore, en ce temps-là, inventé la critique d’art, et, tout bonnement, La Fontaine rapporte les sujets des peintures et des sculptures qui décorent le palais, agrémentant son récit de fadaises parfois fâcheuses. On dirait qu’il s’acquitte d’un pensum, et l’on se demande qui le lui a imposé, quel ami imprudent a réclamé de lui une description de Richelieu.

Cependant il s’arrête un instant à contempler les Esclaves de Michel-Ange, que le Cardinal a acquis et fait placer dans le vestibule du château, au pied du grand escalier (ils sont maintenant au Louvre). Il ba-dine à propos des galants que sa femme a réduits en esclavage ; mais revenant à Michel-Ange, il fait cette curieuse remarque :

Il y a un endroit qui n’est quasi qu’ébauché, soit que la mort, ne pouvant souffrir l’accomplissement d’un ouvrage qui devoit être immortel, ait arrêté Michel-Ange en cet endroit-là, soit que ce grand personnage l’ait fait à dessein, et afin que la postérité reconnût que personne n’est capable de toucher à une figure après lui. De quelque façon que cela soit, je n’en estime que davantage ces deux captifs, et je tiens que l’ouvrier tire autant de gloire de ce qui leur manque que de ce qu’il leur a donné de plus accompli.

Rapprochez de cette opinion singulière les réflexions que lui inspiraient tout à l’heure les bâtiments du château de Blois. Il trouvait quelque grâce à leur défaut de symétrie, et le voici maintenant qui vante l’ « inachevé » des sculptures de Michel- Ange ! Il serait puéril de bâtir là-dessus toute une esthétique et de l’attribuer à La Fontaine ; mais chez un être aussi spontané, le goût et le tempérament ne font qu’un. Il ne peut être choqué d’une architecture irrégulière, lui qui a confondu dans ses ouvrages tous les genres, tous les styles, mêlé dans ses vers tous les mètres et tous les rythmes. Et comment ne jouirait-il pis du charme de « l’inachevé, » lui qui s’est permis tant de négligences dont on ne devine pas toujours si elles sont l’effet d’un art consommé ou d’une naturelle indolence ?

Après avoir visité le château, La Fontaine se rend dans le