Il y avait en Corse un nommé Bralard, commandant, je crois, la division militaire. À Porto-Ferrajo, on le disait ennemi de l’Empereur et on soupçonnait que cet homme avait été envoyé en Corse par le gouvernement royal pour chercher à tenter quelque attaque nocturne, afin de surprendre l’Empereur, l’enlever ou se défaire de lui. La situation du jardin de l’Empereur, la disposition de l’habitation étaient telles que l’accès n’en était pas très difficile, parce que la pente du pied de la muraille au bord de la mer était très praticable, malgré les rochers dont cette partie est semée. La muraille n’étant pas très élevée, on pouvait, à l’aide d’une échelle de corde garnie d’agrafes, atteindre le parapet. De plus, tout près de là il existait une poterne qui était ouverte ou très mal fermée, par laquelle on pouvait s’introduire dans le parterre. Il est à observer qu’à ma connaissance il n’y avait pas un seul factionnaire dans toute cette partie des fortifications. Il importait donc, pour se garantir d’une surprise, d’avoir l’œil sur toute la longueur du parapet et l’oreille ouverte au moindre bruit. Une nuit que l’on supposa avoir été choisie pour une attaque, je portai, le soir, un matelas sur le promenoir, sous les fenêtres de la chambre de l’Empereur et je me couchai, ayant mon poignard à ma ceinture et mon sabre à côté de moi. Je passai ainsi toute la nuit, étant tout yeux, tout oreilles. Ma veille fut inutile, car il n’y eut pas la moindre chose. Je ne sais pourquoi on n’avait pas mis un factionnaire au pied de la muraille ou même sur la terrasse. Peut-être n’avait-on pas voulu ébruiter ce qui n’était probablement qu’un simple soup-çon. Je ne me rappelle pas si la nuit ou les nuits suivantes, Noverraz ou moi, nous les avons passées dehors.
Un matin, d’assez bonne heure, il faisait un vent des plus impétueux, j’entendis, au milieu du bruit que faisaient les vagues en venant se briser sur les rochers qui bordent les fortifications, des coups de canon que l’on tirait de moment en moment. L’Empereur n’était pas encore levé. Sans perdre de temps, je cours à la terrasse, pour savoir d’où les coups partaient. La mer était si furieuse que les vagues, après s’être brisées avec fracas, retombaient en pluie fine sur la terrasse et sur le jardin. Au milieu de cette bruine épaisse où je me trouvais, j’aperçois un bâtiment échoué sur la petite plage qui est éloignée de quelques portées de fusil à droite de la montagne