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déchu ! Le poète lui-même parait soupçonner que la chose est scabreuse, car il souhaite que la jeune duchesse joigne son « entremise » à celle de son époux, et dise, elle aussi, « un mot sur cette affaire. »

Quelle fut la suite ? On l’ignore ; mais on sait que la duchesse resta toute sa vie une des meilleures amies de La Fontaine, et que celui-ci, jusque dans sa vieillesse, lui prodigua les louanges les plus tendres et les plus délicates.


II. — LE DÉPART POUR LE LIMOUSIN

L’année suivante, La Fontaine s’en allait dans le Limousin pour y accompagner l’oncle Jannart. Le substitut de Fouquet était, en vertu d’une lettre de cachet, exilé à Limoges, (à Limoges ! déjà). La Fontaine voulut-il, en cette occasion, donner à son parent une preuve d’affection ? Céda-t-il au caprice de voyager ? Ou bien était-il compris dans l’ordre du Roi ? Lui-même ne nous l’a point dit très clairement dans les lettres qu’il envoya alors à sa femme et qui ont été réunies sous le titre de Relation d’un voyage de Paris en Limousin.

Cette relation a été souvent rapprochée du célèbre Voyage d’Encausse fait par MM. Chapelle et Bachaumont. Que l’exemple de son ami Chapelle ait décidé La Fontaine à conter sa promenade en Limousin sous la forme de lettres mêlées de prose et de vers, c’est vraisemblable. Mais aujourd’hui il nous est difficile de trouver quelque sel et quelque agrément au petit ouvrage de Chapelle et de Bachaumont ; c’est une suite de facéties fâcheuses, souvent grossières, et de petits vers plats et prosaïques. Au contraire, qu’elles ont conservé de charme et de fraicheur, les lettres de La Fontaine ! Elles sont farcies de mythologie, et le ton badin du conteur agace un peu, à la longue ; et je sais aussi que ce ne sont point de vraies lettres intimes, que le tour en est apprêté, que Mlle de La Fontaine était chargée, à n’en pas douter, de les mettre sous les yeux de quelques beaux esprits ; elles n’en sont pas moins, de tous les écrits de La Fontaine, celui où il a le plus librement parlé de ses sentiments et de ses goûts. Notez qu’elles n’ont jamais été imprimées de son vivant. Puis le voyage est une pierre de touche ; c’est là que chacun se livre et se révèle : on ne connaîtra jamais son meilleur ami, si l’on n’a fait route avec lui. Les rencontres