Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au Roi il ne parlera que de clémence : que Louis XIV suive l’exemple a du magnanime Henri. » Toute l’élégie tient dans ce dernier vers, un des plus beaux de la poésie française :


Et c’est être innocent que d’être malheureux.


On ne sait si Louis XIV lut ces vers ; mais beaucoup d’autres les lurent, et ce n’était point sans raison que dix ans plus tard La Fontaine pouvait dire :


J’accoutumai chacun à plaindre ses malheurs.


En 1663, il composa encore une ode pour implorer le roi. L’accent, cette fois, était moins juste, moins profond. Il fit parvenir son ouvrage au pri-sonnier de Pignerol qui en fut médiocrement satisfait et dont il dut réfuter les critiques. Fouquet avait trouvé le morceau trop poétique pour plaire au monarque : La Fontaine allègue l’exemple de Malherbe. Fouquet avait jugé que le poète « demandait trop bassement une chose qu’on doit mépriser : » La Fontaine lui répond, avec quelque raison, qu’il parle en son propre nom et qu’il n’y a point de termes « si humbles, si pathétiques et si pressants, qu’il ne doive s’en servir en cette rencontre. »

Fouquet resta en prison jusqu’à sa mort, mais La Fontaine ne perdit jamais le souvenir de son amitié : nous en aurons la preuve.


J’ai insisté sur les premiers poèmes de La Fontaine et particulièrement sur Clymène. Bien que le poète y raille en passant la futilité, la préciosité, la manière fleurie et toutes les mignardises de ses contemporains, lui-même a commis souvent les péchés dont il accuse les autres. Il suit nonchalamment le caprice de la mode.

Quelle est cette mode ? C’est Mlle de Scudéry, l’auteur de Clélie, l’amie de Pellisson, qui va nous le dire, en exposant quelles qualités lui paraissent convenir à la poésie française :


Elle raillera sans malice, dit-elle, blâmera sans aigreur, sera ingénieusement badine et divertissante. Elle aura tantôt de la tendresse et tantôt de l’enjouement, elle souffrira même quelques traits de morale délicatement touchés ; elle sera quelquefois pleine d’inventions agréables et d’ingénieuses feintes. On y mêlera l’amour et l’esprit tout ensemble ; elle aura un certain air du monde qui la distinguera