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Lorsque la nouvelle en parvint à Paris, La Fontaine envoya à Maucroix ce billet désolé :


Je ne puis te rien dire de ce que tu m’as écrit sur mes affaires, mon cher ami ; elles ne me touchent pas tant que le malheur qui vient d’arriver au surintendant. Il est arrêté, et le Roi est violent contre lui, au point qu’il dit avoir entre les mains des pièces qui le feront pendre. Ah ! s’il le fait, il sera autrement cruel que ses ennemis ; d’autant qu’il n’a pas, comme eux, intérêt d’être injuste. Mme de Bellière a reçu un billet où on lui mande qu’on a de l’inquiétude pour M. Pellis-son : si ça est, c’est encore un grand surcroît de malheur. Adieu, mon cher ami ; je t’en dirois beaucoup davantage si j’avois l’esprit tranquille présentement ; mais, la prochaine fois, je me dédommagerai pour aujourd’hui. Feriunt summos fulmina montes.


La plupart des courtisans besoigneux et des littérateurs faméliques qui avaient part aux libéralités de Fouquet, s’en allèrent sans scrupule faire leur cour à Colbert. De rares amis restèrent fidèles au disgracié. Les plus compromis comme Gourville et Saint-Evremond, songèrent à leur sûreté. Pellisson, Mme de Sévigné et La Fontaine sauvèrent l’honneur des lettres. Fouquet avait commis des trahisons et des concussions trop certaines pour que ses amis pussent songer à nier sa culpabilité. Pellisson déploya sa solide et ingénieuse dialectique pour plaider les circonstances atténuantes. Quant à La Fontaine, il se garda bien de défendre Fouquet contre ses accusateurs : à quoi bon ? Appartenait-il à un poète d’en remontrer au Roi et aux juges ? Il plaindra une grande infortune et invitera les nymphes de Vaux à mêler leurs plaintes et leurs supplications aux siennes.


Les destins sont contents : Oronte est malheureux.
Vous l’avez vu naguère au bord de vos fontaines,
Qui sans craindre du Sort les faveurs incertaines,
Plein d’éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
Recevoit des honneurs qu’on ne doit qu’aux autels.
Hélas ! qu’il est déchu de ce bonheur suprême !


Et le bon La Fontaine regrette, un peu naïvement, que Fouquet n’ait point partagé ses goûts simples et idylliques,


Ah ! si ce faux éclat n’eût point fait ses plaisirs,
Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,
Qu’il pouvoit doucement laisser couler son âge !
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