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Et il faudrait citer encore une scène plaisante où la gentille Erato fait la nique aux pré-cieuses, à ces précieuses qui peuplaient la cour du surintendant...


VII. — LA FÊTE DU 17 AOUT 1661 ET LA DISGRACE DE FOUQUET

Le 22 août 1661, La Fontaine écrivait à Maucroix qui se trouvait alors à Rome en mission secrète pour les affaires du surintendant. Dans une longue lettre, mêlée de prose et de vers, il lui faisait le récit de la fête que Fouquet venait d’offrir au Roi, cinq jours auparavant, dans les jardins de Vaux. Il décrivait à son ami toutes les splendeurs de la journée : l’arrivée du Roi, de la Reine-Mère, de Monsieur, de Madame, de la cour tout entière ; la promenade à travers les jardins et autour des cascades ; les magnificences du souper ; le théâtre dressé dans le parc ; la Béjart sortant comme une nymphe d’une vaste coquille pour réciter un prologue de Pellisson ; les termes et les statues disparaissant pour livrer passage aux faunes et aux bacchantes qui faisaient des danses ; la représentation des Fâcheux de Molière ; le feu d’artifice ; les roulements de tambours ; et, après la collation, une nuée de fusées et de serpentaux s’élevant avec un grand fracas au-dessus de la coupole du château. A ce tintamarre, rapporte La Fontaine, deux chevaux attelés au carrosse de la Reine se cabrèrent et allèrent se noyer dans les fossés. « Je ne croyois pas, dit-il, que cette relation dût avoir une fin si tragique et si lamentable. »

Bien plus tragique et lamentable fut l’épilogue de la fête. Depuis la mort de Mazarin, Fouquet semblait s’ingénier à creuser le gouffre où allait s’abîmer sa fortune. Persuadé que, tout à ses plaisirs, le jeune Roi se lasserait de réformer les finances du royaume, il avait redoublé d’audace et de prodigalité. Il n’avait pas su pré-voir quel avantage devait donner à Colbert son labeur obstiné et sa haine persévérante : l’écureuil se moquait de la couleuvre. Cependant Louis XIV supportait impatiemment le faste de ce sujet prêt à la rébellion. Quand Fouquet commit l’imprudence de convoiter jusqu’aux faveurs de Mlle La Vallière, sa perte fut résolue. Le spectacle des merveilles de Vaux ne fit qu’exaspérer la colère du souverain. Quelques jours plus tard, le 5 septembre, Fouquet fut arrêté à Nantes sur l’ordre du Roi.