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récitait agréablement des poésies que son mari fabriquait pour elle et dont elle se disait l’auteur. Les poètes venaient festoyer chez leur confrère, courtisaient Claudine, louaient ses vers. La Fontaine, fort épris de la jeune muse, lui adressait des madrigaux. Un jour, Colletet mourut. Il avait pris la précaution de léguer à sa femme quelques vers où celle-ci annonçait au monde qu’elle avait enseveli, avec son mari, « son cœur et sa plume, » et ce fut le chant du cygne. La veuve tint si bien parole qu’on finit par éventer la ruse. Vexé d’avoir été dupe, La Fontaine rompit et décocha à Claudine de petites stances injurieuses ; puis il fit imprimer ces madrigaux et ces stances et y joignit une lettre à un ami « qui s’était étonné de ce qu’il eût été ainsi attrapé : »


Et d’où venez-vous de vous étonner ainsi ? Savez-vous pas bien que, pour peu que j’aime, je ne vois dans les défauts des personnes non plus qu’une taupe qui auroit cent pieds de terre sur elle ?... Dès que j’ai un grain d’amour, je ne manque pas d’y mêler tout ce qu’il y a d’encens dans mon magasin : cela fait le meilleur effet du monde ; je dis des sottises en vers et en prose, et serois fâché d’en avoir dit une qui ne fût pas solennelle ; enfin je loue de toutes mes forces... Ce qu’il y a, c’est que l’inconstance remet les choses en leur ordre.


Elle les y remettait très souvent : les inexorables Clymène vengeaient les infortunées Claudine.

Revenons à la comédie de Clymène. Elle nous fait voir La Fontaine amoureux, mais elle nous révèle aussi ses prédilections littéraires, son admiration pour Voiture, pour Malherbe, pour Horace, son mépris pour le « bétail servile et sot » des imitateurs, son courroux contre les méchants poètes.


Il est vrai que jamais on n’a vu tant d’auteurs :
Chacun forge des vers ; mais pour la poésie,
Cette princesse est morte, aucun ne s’en soucie.
Avec un peu de rime on va vous fabriquer
Cent versificateurs en un jour, sans manquer.
Ce langage divin, ces charmantes ligures,
Qui touchoient autrefois les âmes les plus dures,
Et par qui les rochers et les bois attirés
Tressailloient à des traits de l’Olympe admirés ;
Cela, dis-je, n’est plus maintenant en usage.
On vous méprise, et nous, et ce divin langage.
« Qu’est-ce ? dit-on. — Des vers. » Suffit ; le peuple y court.