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aviser ; la bévue ne vient que de là, car je prends trop d’intérêt en ce qui regarde votre famille pour ne pas savoir de combien d’Amours et de Grâces elle est composée. »


V. — LE SONGE DE VAUX

Ces badinages devaient peu coûter à La Fontaine. Mais, un jour, il reçut une fâcheuse commande : on l’invitait à composer une description poétique des merveilles de Vaux.

En 1656, les travaux étaient encore loin de leur achèvement ; la décoration du château ne sera pas encore terminée quand surviendra la disgrâce de Fouquet ; mais La Fontaine avait sous les yeux les estampes du graveur Sylvestre où toutes choses étaient représentées comme elles devaient être dans l’avenir. Les jardins étaient « tout nouveau plantés, » et les décrire dans cet état eût été « en donner, dit-il, une idée peu agréable et qui, au bout de vingt ans, aurait été sans ressemblance : » il en fut quitte pour « prévenir le temps. » Enfin, comme il n’était pas grand clerc en architecture, force lui fut de recourir aux « mémoires » des architectes. Le pire, c’était le danger de rebuter le lecteur, car « une longue suite de descriptions historiques serait une chose fort ennuyeuse : » pour égayer son poème, il inventa donc « quelques épisodes galants. »

Afin de dépeindre avec moins d’invraisemblance les futures beautés de Vaux, il se résolut à l’artifice d’un songe. « Ce n’est pas, observe-t-il ingénument, qu’un songe soit aussi suivi ni même si long que le mien sera ; mais il est permis de passer le cours ordinaire dans ces rencontres. » En effet, ce songe eût été d’une longueur démesurée si la chute du surintendant n’était venue l’interrompre ; nous ne possédons que des fragments du poème.

Les « épisodes galants » ne sont pas tous d’une veine également heureuse. Dans les Aventures d’un saumon et d’un esturgeon, La Fontaine s’essaie avec gaucherie à cette railleuse bonhomie et à cette libre versification qui feront la grâce de ses Fables. Dans Vénus et Mars, il compose, d’après une suite de tapisseries, un de ses contes les plus malicieux et les plus parfaits. C’est un redoutable mélange de fadeur et de préciosité que Comment Sylvie honora de sa présence les dernières chansons d’un cygne qui se mouroit, et des aven-tures du cygne.