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Après cette épitre il est assez plaisant de relire un passage des Mémoires de l’abbé de Choisy : « Fouquet faisait semblant de travailler seul dans son cabinet de Saint-Mandé ; et pendant que toute la Cour, prévenue de sa future grandeur, était dans son antichambre, louant à haute voix le travail infatigable de ce grand homme, il descendait par un escalier dérobé dans un petit jardin, où ses nymphes que je nommerais bien si je voulais, et des mieux chaus-sées, lui venaient tenir compagnie au poids de l’or. »

À quelle somme s’élevait la pension de La Fontaine ? On l’ignore ; mais on sait le montant de celle de Fouquet, car s’amusant à renverser les rôles, La Fontaine feignait de pensionner le surintendant. Il s’engageait à le payer par quartier à la Saint-Jean, au premier d’octobre, à l’an neuf et à Pâques,


………… en belle monnoie
De Madrigaux, d’ouvrages ayant cours,


le tout gagé par le bien qu’il avait sur les bords du Permesse, en vertu d’un contrat passé par devant maître PeIlisson, « sur le Parnasse notaire, » lequel à chaque terme donnait au débiteur une quittance gentiment rimée.

La Fontaine s’acquitta de sa dette avec une ponctualité méritoire, si ce n’est que finalement il omit des « sonnets pleins de dévotion » promis pour l’échéance de Pâques. À chaque terme, le surintendant reçut une ballade, un madrigal, une épître ou de « menus vers. » Il reçut même des odes où le poète célébrait le mariage de Monsieur avec Henriette d’Angleterre, la grossesse de la Reine, la gloire du Roi, et ce ne fut pas là le plus beau de son revenu ; La Fontaine était meilleur disciple de Voiture que de Malherbe. D’ailleurs, son lyrisme se tempérait à l’occasion de bonhomie.

Non moins assidu au service de la surintendante qu’à celui du surintendant, il adressait à Mme Fouquet une épitre sur la naissance de son dernier fils. Dans ce morceau il donna une jolie preuve de sa légendaire étourderie.

« Vous voilà mère de deux Amours, » disait-il à Mme Fouquet, oubliant qu’elle avait déjà deux autres fils. On le lui fit remarquer ; il s’excusa près du père, en prose cette fois : « Entre autres fautes, j’y avais mis un deux pour un trois, ce qui est la plus grande rêverie dont un nourrisson du Parnasse se puisse