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considère toujours le goût du siècle. » Or, en 1659, « le goût du siècle » exigeait des ballades, des épîtres, des madrigaux : La Fontaine lit des ballades, des épitres, des madrigaux ; il les fit si bien, il les tourna avec tant de naturel, d’aisance et de gaité qu’au bout de quelques mois il était devenu un des familiers de la maison.


IV. — LES VERS DE REDEVANCE

Il ne fut jamais à demeure chez Fouquet, il logeait alors chez les Jannart, et faisait de fréquents voyages à Château-Thierry pour exercer sa charge de maître des eaux et forêts ; mais le surintendant l’accueillait volontiers. Le ton sur lequel le poète se plaignit un jour d’avoir croqué le marmot à la porte de Fouquet, laisse deviner sur quel pied s’étaient établies les relations du protecteur et du protégé.

Ce jour-là il s’était rendu à Saint-Mandé pour offrir au surintendant « le tribut d’une profonde révérence. » (Fouquet se plaisait dans cette magnifique résidence de Saint-Mandé alors célèbre par sa bibliothèque, ses galeries et ses jardins.) Après une heure d’attente, La Fontaine avait dû partir. Mais tout de même, que Fouquet n’aille pas s’imaginer que notre homme en pensa mourir de chagrin.


Je me console et vous excuse.


Je me console et vous excuse... Un an après la cérémonieuse dédicace d’Adonis, La Fontaine a fait du chemin.

Les excuses qu’il découvre à son ami, ce sont les tracas de la politique et de la finance, l’assaut des quémandeurs. Ceux-là ne sont pas des poètes : qu’on les mette dehors.


Mais que pour les amants des Muses,
Votre Suisse n’ait point d’excuses,
Et moins pour moi que pour pas un :
Je ne serai pas importun ;
Je prendrai votre heure et la mienne.


Et la mienne ! En attendant, il joint à sa plainte une description assez égrillarde de deux coffres qui ont contenu les momies des rois Céphrim et Kiopès : ils étaient exposés dans la galerie où il a vainement attendu que le surintendant s’arrachât au soin des af-faires publiques.