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les ivoires du moyen âge ; elle est coiffée d’une serviette éponge aux plis flamands qui encadrent un visage byzantin. Cette grande œuvre est la quintessence de tout ce qui n’est plus. Cependant une mer de chapeau hauts de forme vient comme un flot noir en battre le pied. M. Bérard prononce quelques paroles, puis, partant d’un bon pas, attaque résolument les salles de gauche. Mais comme il est artiste et Béarnais, et qu’il a des sensations vives, il s’arrête soudain. La colonne des visiteurs s’arrête derrière lui. On voit un reflux de képis, un tassement de généraux ; et des officiers supérieurs restent inquiets, devant un coin de la Procession à Gruyère, parce qu’un Héraclès de bronze leur tire dans le dos. — A l’entrée du parc, un pavillon provisoire abrite d’un côté une jolie exposition que la Ville de Paris a tirée de Carnavalet et que M. Le Corbeiller présente en paroles éloquentes ; de l’autre côté, sont des travaux des écoles, des meubles, des modes et un goûter.

J’ai pu revoir cette exposition dans un moment plus calme. Il faut rendre une pleine justice à M. Duvent, qui l’a organisée. Il eût été difficile d’y mettre plus de goût et un choix plus intelligent. Toutes les écoles françaises, depuis M. Bonnat jusqu’à M. Dufy, sont repré-sentées ; et chacune l’est par quelques toiles qui sont à la fois les plus caractéristiques et les meilleures. C’est une espèce de réussite et de tour de force. Je ne peux naturellement citer que quelques exemples. M. Bonnat a envoyé un portrait de lui-même, exécuté pendant la guerre, et qui est d’une étonnante maîtrise. M. Besnard est représenté par une toile célèbre, une femme nue, repliée et dont la courbe est redoublée par le déploiement d’un paon bleu. Au-dessous, est accroché un Aman-Jean vraiment exquis : une harmonie d’un rose mort et d’un presque vert-jaune, d’une finesse extraordinaire, où il y a une figure de femme, un gant et un œillet. Dans une salle voisine, un Toulouse-Lautrec, d’une puissance et d’un style surprenant ; dans une galerie, de beaux Signac ; de Mlle Marval, dans cette gamme claire où le jaune-citron, le bleu le plus pâli et le rose le plus fin glissent dans la lumière, un charmant portrait de femme. Enfin tout ce qui parut hier une audace est là, consacré et presque classique ; et tout ce qu’on peut regretter, c’est que la place n’ait pas été faite plus large encore aux audaces d’aujourd’hui : le public français, seul, en eût été un peu effarouché.