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c’est un monument de grès rouge, d’un bon style, à la fois solide et orné, avec des fenêtres en échauguette. Pendant le siège de 1793, il servit d’hôpital. C’est aujourd’hui un musée. Puis, en continuant vers la gauche, apparaît un autre palais, pareillement de grès rouge, du XVIIIe délicat ; un vaste drapeau français le surmonte : c’est le Deutsches Haus. Le général Degoutte y a succédé au général Mangin. Au bout d’une enfilade d’assez beaux salons, on voit la chambre où Napoléon Ier a couché. Le lit d’acajou est celui où il a dormi. Le général Degoutte, pour le centenaire de l’Empereur, a laissé visiter cette chambre. Les Allemands sont venus par milliers.

A gauche de ces palais, les maisons, les unes anciennes, les autres modernes, dessinent devant nous l’alignement de la vieille ville. Dans un fouillis de bâtisses de guingois s’élève une tour. Des boulets de la guerre de Trente ans sont encore entassés dans un jardin. A l’extrême gauche s’élèvent les rues qui montent vers la cathédrale. Elle-même apparait avec ses tours octogones et son dessin enchevêtré, rendu plus singulier par les maisons qui s’y appuient. De l’intérieur de l’édifice, tout se simplifie. On se trouve dans une église romane, non point trapue, mais haute et profonde, élevant la majesté de ses cintres nus. Deux absides se font face aux deux bouts de la nef, et font comprendre le dessin inaccoutumé de l’extérieur. Les ornements de cette église sévère sont les tombeaux. Il en est du XVIe, dont le style rectangulaire est orné de coquilles et de volutes. Il en est un du XVIIIe, dont le fond est un baldaquin de pierre grise moelleuse comme une étoffe. Des anges, nus comme des amours, culbutent dans ces rideaux ; et la mort y parait comme un squelette bien élevé, qui sait se présenter dans le monde, et qui est couronné de roses.

C’est ici qu’il faut méditer sur le génie du Rhin. Ici les légionnaires romains avaient un camp, et ils élevèrent, à la mémoire de Drusus, cette tour encore debout à l’angle de la citadelle. Où veillaient les légions de Drusus, la fortune a ramené à intervalles les drapeaux de leurs héritiers, jusqu’à ce qu’elle y conduisit à leur tour les légions de Mangin. Toutes les fluctuations de cette histoire ont laissé leur trace dans le cimetière qui, sur sa colline penchante, est l’un des endroits les plus curieux de l’Allemagne. Tous les grands reflux de l’histoire européenne y ont laissé une alluvion de tombes. Jean-Bon