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La gaîté des soldats français étonnait déjà les bourgeois de 1793. Déjà à ce moment, l’armée française ne payait pas beaucoup de mine. Encore pendant cette guerre, il faut bien reconnaître qu’il en était ainsi. J’ai vu la Légion entrer à Château-Salins. Il n’y a pas de plus glorieuse troupe au monde, et il faut bien avouer que nous pleurions tous. Mais le Roi-Sergent n’y eût rien compris. Les hommes étaient de taille scandaleusement inégale, et les baïonnettes n’étaient pas alignées. C’est tout juste ainsi que les soldats de la Révolution apparurent aux Allemands : ces enfants de la Liberté l’un grand, l’autre petit, l’un en blouse, l’autre en manteau, et qui fumaient la pipe en faisant l’exercice, n’avaient pas trop bonne façon. Avec ce méchant aspect, ils ont battu toutes les armées de l’Europe. Ils étaient d’ailleurs aimables et faciles à vivre. Qui ne se rappelle la phrase célèbre où Chateaubriand montre les soldats de Bonaparte, dans les campagnes d’Italie, aidant aux travaux des villageois ? J’ai vu de même cent traits de la bonhomie de nos hommes. Il y avait, dans l’hiver de 1919, une division de cavalerie à pied cantonnée à Mayence. Un cuirassier, vaste comme une armoire, montait la garde devant une porte. C’était l’heure de la soupe. Un gamin allemand, trainant une séquelle de marmots, arriva, une écuelle à la main, pour entrer dans le quartier et vivre sur l’occupant. A la vue de cette marmaille, le cuirassier fit de gros yeux, jura très probablement, et d’un souffle les fit rentrer entre les pavés. Nous assistâmes à cette débandade épouvantée. Mais comme nous repassions quelques minutes plus tard, nous vîmes la même troupe d’enfants reformée pour une marche triomphale : l’écuelle fumait glorieusement, pleine de soupe. Après avoir pulvérisé les enfants sous quelques épithètes peu flatteuses pour leurs parents, le cuirassier les avait aussitôt rappelés, et leur trouvant ce petit air de navet qu’avaient alors les Allemands, leur avait donné à manger. Voilà le soldat français. On ne le voit plus guère à Mayence. Il y a été remplacé non point par des noirs comme l’impriment les journaux allemands, mais par des Algériens et des Marocains, qui ont un sentiment strict de la consigne et de la discipline.

Plaçons-nous au bord du Rhin. A une centaine de mètres de la berge, les maisons dessinent encore l’ancienne façade de la ville sur le fleuve. A l’extrême droite, le palais de l’Electeur ;