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Sarre, on entre dans la Rhénanie proprement dite, sur un vaste plateau de grès, d’une beauté sévère. Une falaise rouge, couverte de forêts, borde la route à droite. A gauche, s’étendent de lointains marais. En hiver, ce paysage, d’où l’homme est absent, s mble quelque sauvage Hyrcanie. A travers ces déserts, les premières traces de civilisation que vous rencontrez sont l’œuvre des Français. La route que vous suivez a été construite par Napoléon.

Bientôt le paysage change. De ces plateaux tragiques vous passez dans une forêt verdoyante et riche en vallons. C’est sous ces ombrages et par ces lacets que vous descendez sur Worms, et vous voici dans la plaine du Rhin, verger immense, jardin d’alluvions. Au printemps, vous pouvez descendre la vallée jusqu’en aval de Cologne sans sortir de cet enchantement d’arbres en fleurs. C’est une longue avenue plus claire que toute neige, où se pressent tous ces candides bouquets rapprochés, quelque chose d’inexprimable, un paysage léger et aérien, un miracle.


Nous voici à Mayence, et il n’y a plus que le pont du Rhin à franchir pour être au terme de notre voyage. Mais comment ne pas s’arrêter un moment dans la vieille ville toute pleine de souvenirs français ! Elle a, surtout, vers le Nord, des quartiers neufs que nous pouvons négliger. Mais tout le noyau ancien, autour de la cathédrale, est un endroit charmant, pittoresque et même émouvant. S’il est permis, dans un récit de voyage, d’en venir à ses propres émotions, j’avoue que je n’ai jamais pu parcourir Mayence sans être hanté par le souvenir du siège qui y fut soutenu par les Français en 1793. Les survivants, sortis avec les honneurs de la guerre, et revenus dans les rangs de leurs frères d’armes, s’appelaient les Mayençais. Relisez, aux bords du Rhin, le livre de Chuquet. Il n’y a rien de si pathétique ; et dans les derniers jours de la Grande Guerre, entre l’armistice et le traité, il n’y avait rien de plus saisissant. C’était la même armée ; après plus de cent vingt ans, c’était toujours les soldats de Custine et de Kléber qui étaient là. Les soldats et les chefs... Un petit roman que je sais, documenté avec soin, et scrupuleusement ressemblant, dont l’action se passait en 1793, a généralement paru un roman à clé, et on l’accusait de peindre des contemporains sous de vieux noms.