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de ce troisième degré, c’est-à-dire la forêt d’Argonne. On le franchit aux Islettes ; et on aperçoit sur la gauche les éclaircies dévastées où deux corps français, pendant un hiver et un été, surplombés, refoulés, mais revenant à la charge et tenant bon, ont maintenu l’armée du Kronprinz : à ces lignes de la Haute Chevauchée est attaché le souvenir de Gouraud.

De l’Argonne on descend à travers les bois sur le quatrième palier, et je ne crois pas qu’on puisse l’aborder sans émotion. Ici commence la terre sacrée de Verdun. On traverse la ville et les abords méridionaux du champ de bataille. Mais bientôt on voit une fois de plus le terrain se creuser devant soi. Par delà des villages détruits et des pans de murs jaunâtres miroitent des étangs. On surplombe la Woëvre, qui est le cinquième palier, et enfin, par une nou-velle ligne de collines, on descend dans la vallée de la Moselle, sixième marche de cet escalier de géants. Seulement on pourrait croire que quelque génie facétieux, à mesure que vous descendiez, a relevé le sol sous vos pas : car, parti du niveau de la mer, ou peu s’en faut, vous vous trouvez maintenant à 200 mètres d’altitude. Ce relèvement du sol accentue le front que chaque degré fait face à l’Est. Quelque jour, des transports plus rapides rendront plus saisissante cette descente qui est une montée. On verra mieux cette forme d’escalier, avec du sang sur chaque marche. On sentira plus clairement aussi comment le royaume de France, restreint d’abord au premier palier, s’est progressivement étendu sur les autres. La Champagne, qui forme le second degré, est réunie à la fin du XIIIe siècle. Les marches orientales sont conquises au XVIe, mais ne sont consolidées qu’au XVIIIe, par l’acquisition de la Lorraine. La France a construit pierre à pierre l’avenue qui la reconduit à son antique frontière et cette journée passée à travers l’histoire est une bonne préparation au voyage de Rhénanie.

On couche à Metz. On y voit encore, comme un témoignage des temps, cette singulière juxtaposition de l’ancienne ville lorraine et des monuments nouveaux, en style des Niebelungen, où l’oppresseur avait signifié sa force. Mais que déjà ces temps paraissent loin ! Comme la ville est rapidement et naturellement redevenue française ! A Metz, c’est vraiment un autre voyage qui commence. A travers de belles collines ondulées, on gagne la Sarre, aux paysages clairs et prospères. Et au delà de la