Le vendredi 11 juin, un train spécial emmenait à Wiesbaden un certain nombre de Parisiens, de ceux qu’on nomme des notabilités : deux ministres, deux généraux, des conservateurs de musées, des directeurs de revues, des critiques d’art. Ils étaient invités à inaugurer le lendemain l’exposition d’art français de Biebrich. Des journalistes accompagnaient cette sorte d’expédition. Suivons-les à notre tour, dans cette Rhénanie, où tant de raisons nous appellent. Mais enfin suivons-les avec une honnête liberté et accompagnons-les en les quittant d’abord. Au lieu de faire le voyage en chemin de fer, nous le ferons en automobile. Nous verrons le pays. Nous aurons même le sentiment si agréablement naïf de le découvrir.
De Paris à Metz, on descend tous les paliers du royaume de France. Pour qui a des yeux, il n’y a rien de plus émouvant que de parcourir ces six grands degrés qui conduisent solennellement de la Seine à la Moselle. Il faut un jour, à une vitesse moyenne, pour les franchir. Ou atteint le bord de la première marche à Montmirail. De cette arête où, en 1814, Napoléon arrêta Blücher, et où, en 1914, Franchet d’Espérey culbuta von Bülow, on voit à ses pieds la Champagne bleuissante. On y descend, on route parmi les étendues plantées de sapins où Foch remporta sa première victoire. On gagne Châlons, et l’on est sur le bord de la seconde marche, près de Valmy, où Dumouriez arrêta Brunswick. On descend là du second degré sur le troisième, par une dénivellation de soixante mètres ; et l’on voit devant soi se profiler comme une barre noire l’arête orientale