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regardent crouler les vieux châteaux de l’Atlas du même œil sans illusion qu’ils contemplaient dans leur enfance les ruines des donjons sur les collines de la Vienne. Ces deux moyen-âges se ressemblent. Je ne nie pas ce qu’un tel regret comporte de romanesque : ces écrivains si purs ne se défendent pas d’être d’un pays romantique. Ce sont avant tout des artistes, naturellement épris du passé, des poètes, — et il n’y a de poésie que de ce qui n’est plus. Le rêve du retour à l’âge d’or classique est-il d’ailleurs moins « romantique ? » Il faut simplement reconnaître dans ces grands peintres, les Tharaud et M. Louis Bertrand, deux attitudes diverses de la pensée, l’une plus sentimentale, l’autre plus rationnelle, l’une faite surtout de volonté, l’autre de sympathie : ce sont deux attitudes également françaises.

Mais peut-être le trait le plus significatif de l’œuvre des Tharaud n’est-il pas la diversité de ses aspects, la variété des aperçus qu’elle nous ouvre sur le monde : c’est la nouveauté même de la matière de leur poésie. Il n’y a pas d’écrivains français qui fassent moins de place à l’amour. C’est presque un dogme chez nous que la matière inépuisable de l’intérêt littéraire se trouve dans l’étude du cœur et en particulier des passions de l’amour. Les Tharaud suppriment ce ressort. On ne saurait rêver d’écrivains moins parisiens. « L’histoire du monsieur et de la dame » (c’est leur mot) leur parait indigne d’attention. Les rapports entre les sexes, qui forment chez tant d’hommes le grand intérêt de la vie, les ennuient. Ici encore, je crois que le fond des choses est un sentiment paysan. Les femmes sont un sujet sur lequel les gens de la campagne s’expriment rarement : ils éprouvent pour la femme un sentiment de pudeur, étrangement mêlé de mépris et de respect. Sur les choses de la chair, ils ont plus d’une gauloiserie et d’un propos salé, mais ils ne confondent pas le plaisir et la tendresse ; ils savent que la vie est dure et qu’elle ne permet pas longtemps la volupté. Pour ce qui est de l’amour, à la manière exclusive dont les romans l’entendent, c’est un phénomène aussi exceptionnel que le génie, ou une convention de mondains et de littérateurs, aussi éloignée de la réalité que les madrigaux, les sonnets, les idylles et les bergeries. Dans la vie, les vrais intérêts sont d’un ordre plus rude. Le mariage, les enfants, le pain quotidien, l’ambition, le métier, l’action, sont les objets réels de la plupart des existences. C’est pourquoi les Tharaud n’ont pas écrit de