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appartiennent à la riche famille de nos orientalistes. C’est d’ailleurs une définition qui ne leur convient qu’a demi. Ils seraient plutôt des spécialistes de certains problèmes des races, comme le problème juif et le problème musulman, si ces mots pédantesques ne répondaient assez mal à la manière de ces artistes parfaits. A cet égard, il serait curieux de rapprocher leur pensée de celle d’un de leurs émules, qui les a précédés dans le domaine africain. Comparés à M. Louis Bertrand, on ne peut se dissimuler qu’ils sont d’écoles et de sentiments opposés. Partout les Tharaud sont tentés de donner le beau rôle à l’indigène, qui représente pour M. Bertrand le Berbère, le Barbaresque, réfractaire, rétif au progrès. Les uns s’affligent de voir disparaître le pasteur et le nomade, qui n’est pour le second que la sauterelle du désert, le sauvage et dangereux Numide. Les premiers s’enchantent des trouvailles de la fantaisie arabe et de cette architecture exquise que l’auteur de Sanguis martyrum traite de bi-coques et de plâtras. Les Tharaud demandent grâce pour ces fragiles merveilles ; M. Louis Bertrand propose qu’on restaure, avec les « villes d’or, » une des voies sacrées de l’humanité : il montre que la féerie arabe n’est qu’une création illusoire, une dégénérescence des modèles de Rome.

Il est impossible de trancher en passant ce débat, qui divise depuis si longtemps l’opinion des historiens et des coloniaux. Le merveilleux oriental n’est-il, comme on le veut, qu’un mirage ? N’y a-t-il réellement au monde qu’un type supérieur de civilisation ? Tout ce qui s’écarte de Rome est-il fatalement barbarie ? La réponse dépend du prix que l’on attache à certaines choses, de l’idée qu’on se fait de la perfection humaine. Il est permis de croire que le barbare lui-même peut avoir sa noblesse, que certaines vertus de la plante humaine (je dis même des vertus d’une espèce raffinée) se conservent mieux au désert que dans un salon ou derrière un comptoir. Les Tharaud étaient préparés à goûter mieux que d’autres certaines formes d’aristocratie, fût-ce au prix de quelque rudesse, eux qui avaient reconnu tant de beautés poétiques jusque dans la vie inculte des hobereaux de leur pays. Il faut toujours se souvenir qu’une part de leurs idées morales leur vient d’une nourrice qui ne savait pas lire. Il y a toujours dans le vrai rural quelque chose du féodal, c’est-à-dire d’un système qui, pour être aujourd’hui aboli, n’en contenait pas moins une part de la vérité humaine. Ils