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toute une floraison et un épanouissement subits qui suivaient une longue période de préparation et de demi-silence. Les Tharaud sont bien des ruraux en cela, ils n’ont point brusqué leurs saisons ; ils ont eu leur jeunesse un peu tardive, un hiver nuageux et rechigné avant la grâce de leur printemps.

Pour les œuvres suivantes, parues depuis la guerre, Une Relève, leurs deux volumes du Maroc, Rabat et Marrakech, et enfin leur dernier roman, Un royaume de Dieu, on me dispensera d’en parler longuement ; aucun lecteur de la Revue n’a pu les oublier. Elles sont célèbres. Le nom de leurs auteurs, estimé jusqu’alors d’un petit nombre de délicats, est devenu populaire. Il a conquis le grand public. Je me bornerai à dire que leur talent, dans ces derniers livres, a gagné encore en souplesse ; leur art, sans rien perdre de sa vigueur, a pris plus de liberté. Toute trace d’effort a disparu. Personne n’écrit en France une prose mieux portante, d’une science plus consommée avec moins de recherche, d’une propriété plus exacte et d’une variété d’effets plus délicieuse. Ce sont les meilleurs peintres que nous ayons depuis Loti. Leurs descriptions sont bien différentes de celles qu’introduisaient dans leurs livres les écrivains naturalistes, comme des tableaux suspendus dans un appartement : elles sont faites, pour ainsi dire, sans avoir l’air d’y penser ; elles font corps avec le sujet, elles se mêlent au récit comme l’atmosphère et l’éclairage à la scène réelle. Tout s’évoque et se compose, les costumes, les idées, les personnages, le décor ; la vision se déploie avec une familiarité charmante, comme les plis d’un tapis, sans couleurs violentes, avec un pittoresque achevé. On ne se lasse pas de cette féerie qui se renouvelle à chaque instant, comme on va de chambre en chambre dans l’harmonieux dédale d’un palais enchanté. Et même, dans leur dernier roman, ces sévères écrivains sont parvenus au sourire. Il leur a fallu vingt ans de peine pour arriver à dégager la bonne humeur de leur nature, ce sens de la fantaisie ou de la bouffonnerie des choses, qui faisait partir Jérôme par moments d’un accès de gaieté enfantine, de ce bon rire ingénu, innocent et limpide, qui est une des raisons qui nous le font aimer.

Aujourd’hui que les voilà illustres, on peut se demander pour finir ce qu’ils représentent de nouveau, ce qu’ils apportent dans le roman et la littérature. Par toute une partie de leur œuvre, peut-être la plus brillante et la plus populaire, ils