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M. Maurice Barrès leur en enseigna une supérieure. Il avait conservé d’excellentes méthodes, apprises de Leconte de Liste, qui les tenait lui-même de ces grands laborieux que furent les romantiques, et qui consistent dans une sage économie des forces. Comme tous les jeunes gens, les Tharaud s’imaginaient qu’il y a un état de grâce favorable aux chefs-d’œuvre, une sorte de bonheur surnaturel, se produisant avec l’éclat d’une révélation. L’auteur du Culte du moi leur apprit à être plus modestes. Il leur faisait voir qu’un chef-d’œuvre n’est pas nécessairement écrit du premier jet, que la beauté procède par étapes, qu’il faut se soumettre humblement aux conditions de l’esprit. Un novice se désespère, s’il n’atteint pas d’emblée à l’expression de son idée. Ce jeune présomptueux ignore les réalités du travail. Il ne sait pas que les pensées justes se présentent rarement à l’esprit les premières, qu’il est presque contradictoire de rencontrer tout de suite la formule définitive. Il faut user de patience, souffrir de commencer par le commencement, savoir conserver son ébauche. Enfin, on ne peut soigner à la fois l’ensemble et le détail. Obtenir les masses, l’ensemble, puis la perfection de la forme, ce sont des opérations distinctes et séparées. Il faut diviser le travail, « sérier » les efforts, conserver jusqu’au bout la liberté du jugement. On est bien aise d’apprendre que l’écrivain moderne qui a fait le plus d’état de la sensibilité et des parties profondes et inconscientes de l’être, est aussi celui qui a le moins négligé la réflexion et jusqu’à l’industrie de son art. Comme les grands mystiques, ses modèles, personne n’a mieux connu le prix de la culture méthodique du sentiment, la mécanique de la pensée. Son art repose sur une étude attentive des conditions de la nature. C’est lui rendre hommage que de le montrer dans ce rôle de maitre, donnant autour de lui des conseils de raison et des leçons de discipline


A partir de la Maîtresse servante, qui parut en 1911, les œuvres des Tharaud se succèdent assez vite. « L’arbre est en fleurs, » écrivait gracieusement leur maitre à propos de la Fête arabe, publiée l’année suivante. Puis, c’étaient coup sur coup Ravaillac, Déroulède, la Bataille de Scutari, et cet admirable roman de l’Ombre de la Croix, qui achevait de paraître au moment où la guerre éclata : cinq ou six volumes en trois ans,