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barbares, livres dont le seul titre me remplissait d’une nuance de curiosité effrayée. Quinze ans plus tard, une amitié de collège réunissait le romancier au maître de sa jeunesse. L’amitié a joué dans sa vie le rôle que d’autres vies abandonnent à l’amour.

Ces quelques années passées dans l’intimité de l’auteur de Colette Baudoche et de la Colline inspirée furent d’une grande importance pour tout le groupe des Cahiers. C’est un charme de Maurice Barrès que sa grâce, sa gentillesse, sa façon d’être jeune et ami de la jeunesse. Nul n’oblige plus généreusement, de la louange et du cœur, qui lui semble en valoir la peine. La sympathie de Barrès fut précieuse aux Cahiers, au moment où Péguy se voyait mis en quarantaine par le parti socialiste. Barrès rouvrit sa retraite, ménagea sa rentrée dans la tradition. Il eut le courage de répondre pour lui, de le patronner publiquement, et jusqu’après sa mort, dégageant de la controverse le sens héroïque de sa vie, adopta noblement sa gloire.

Pour les Tharaud, si l’on veut se figurer au juste le genre de services qu’il leur rendit, il faut se représenter le temps d’apprentissage que les peintres d’autrefois passaient dans l’atelier d’un maître. Tout art comporte une part de métier, un ensemble de méthodes et de pratiques qui ne suppléent pas au don du ciel, mais dont le plus beau talent ne saurait se passer. Cet art ne s’apprend plus nulle part. Il ne faut pas chercher une autre explication de l’anarchie contemporaine et de tant de belles promesses avortées.

Ces années de travail assidu et de formation solitaire qui précèdent l’entrée des deux frères chez M. Barrès, je ne voudrais pour rien au monde qu’ils ne les eussent pas vécues. C’est la beauté de leur carrière, que ce temps qu’ils ont passé dans une stérilité apparente, publiant deux ou trois minces volumes en dix ans. Ils avaient la manie de recommencer leurs ouvrages, ne pouvant se résoudre à les abandonner avant qu’ils eussent atteint un degré irréprochable de perfection. Mais il y avait évidemment dans une telle méthode de très graves défauts. A côté d’une ambition très noble, il y avait quelque enfantillage, et encore plus de maladresse. Ils se rendaient à plaisir le travail difficile. Ils ne savaient pas se contenter ; de dures séantes finissaient le plus souvent par remplir la corbeille à papiers. Ils avaient une détestable hygiène de travail.