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Cependant il y avait aussi dans la famille une tradition de belles-lettres venant du grand-père normalien, celui qui avait restauré le lycée d’Angoulême, et dont son camarade Duruy voulait faire, parait-il, un proviseur de Louis-le-Grand- Mme Tharaud dirigea les études de Jérôme de manière à suivre à son tour la carrière universitaire, non sans peine : l’enfant ne savait pas lire à dix ans. Encore n’a-t-il pas pris sur lui de beaucoup aimer les livres : jamais je ne l’ai vu grand liseur, « Madame, il dort toujours ! » s’écriait la bonne demoiselle chargée de lui montrer l’alphabet. Je crois qu’il a encore, à l’heure qu’il est, cette merveilleuse faculté de dormir, ces sommes bienheureux qui succèdent à des accès d’activité et qui désolaient, à l’Ecole, le respec-table Gaston Boissier.

Jérôme se réveilla toutefois assez pour obtenir une bourse en troisième à Sainte-Barbe, où son frère venait le rejoindre quelques années plus tard. Cependant Jérôme était reçu au concours de 1895 à l’Ecole Normale, tandis que Jean s’installait au bout de la rue d’Ulm, dans une maison neuve de la rue des Fossés-Saint-Jacques, sous le prétexte d’y préparer de vagues examens de droit ou de finances.

C’était un bien charmant endroit que l’Ecole Normale sous la crosse paternelle du bon érudit Georges Perrot. Je ne sais si elle tenait encore de la caserne universitaire qu’avait créée M. de Fontanes pour y former les cadres de l’enseignement impérial. Au temps où je l’ai connue, elle ressemblait plutôt à l’abbaye de Thélème. C’était une villa Médicis d’où, au lieu de la vue de Rome, l’œil embrassait le paysage de la Glacière et la vallée de la Bièvre ; on y jouissait d’une liberté infinie. On y avait des maîtres qui s’appelaient Edouard Tournier, Gustave Lanson, Brunetière ; Joseph Bédier semblait seulement un camarade plus âgé, qui en des leçons inoubliables nous contait le roman de Tristan et Yseut. C’était encore Charles Andler et notre redoutable bibliothécaire Lucien Herr, qui avait un cœur d’or et un langage bourru.

S’il ne s’agissait ici que de mes souvenirs, je n’aurais qu’à laisser courir ma plume ; je pourrais parler sans fin de ces années heureuses où nous avions vingt ans. Mais je crois qu’en réalité, Jérôme doit très peu de chose à l’éducation de l’École