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touffu et verdoyant, enveloppé partout d’ombrages et de mystères, où les vallons étroits deviennent à tout instant ce qui s’appelle des « bouts du monde ; » pays spongieux, humide, plein de lueurs d’étangs et de miroitements de sources, de frissons qui se glissent le soir comme des écharpes ; pays de frémissantes ondines et de fées ; vallées de la Vienne et de la Glane, solitudes chères à Corot, beaux châtaigniers, rivières vierges qui se jouent comme aux premiers jours sous des arches de feuillage, bocages où l’araignée tisse entre les branches sa toile, où la vapeur de la cascade se fixe en broderies aériennes, en fines perles de cristal.

C’étaient encore sur les collines les tristes gentilhommières, surmontées de girouettes qui grincent au-dessus des cimes des châtaigniers ; toits pointus, isolés, qui s’appellent et se font signe de coteau en coteau par-dessus les vallées, comme se répondent à la chasse dans les bois gémissants les fanfares des veneurs. Là achève de mourir tout un monde d’autrefois, toute une noblesse délabrée qui offre encore l’image en ruines de ce qu’était la France il y a deux cents ans : des personnages rudes, à l’existence renfrognée, coupée de facéties brutales. Parfois ce hobereau cultivé, raffiné, transplanté à la cour, a donné quelques types supérieurs de la grâce française : les Talleyrand, les Noailles, les Mortemart ou les Ségur. Le reste, demeuré sur place, forme cette petite noblesse rurale déjà raillée par Molière, chaque jour plus ruinée, dévorée par les dettes, pillée par ses intendants et par ses métayers, mais obstinée à ne pas déchoir et arborant fièrement son panache déguenillé. On attelle avec des cordes à puits, mais il y a encore des armoiries sur les harnais. Le cavalier porte peau de bique et casquette de loutre, mais il s’appelle Monsieur le comte. Là, surtout chez les femmes, que d’existences sévères, difficiles et tourmentées ! Que de vertus solides qui ont l’air de travers ! Que d’économies laborieuses sous l’apparence de l’avarice ! Que de passion sous le masque de la sécheresse et de la dureté ! Quel héroïque dédain de la convention et de la mode ! Quelle admirable école d’originalité !

Nul doute que les deux frères auraient pu se contenter d’exploiter ce fonds de terroir et devenir les romanciers de leur province, comme leur « payse » George Sand l’a été du Berry, ou comme l’auteur de l’Ensorcelée le fut de son Cotentin. Mais dans cette province même, à côté des terriens