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C’est à Paris que je les ai connus, du temps que nous étions collégiens, mais c’est seulement un peu plus tard que je commençai à les comprendre. Les jeunes gens habitaient alors avec leur mère une maisonnette accrochée comme par une corde à la pente d’un chemin rocailleux qui dévale la montagne d’Angoulême. Je revois encore, à vingt-cinq ans d’intervalle, la petite ville ennuyée et aristocratique, serrée autour de sa cathédrale ciselée comme un bijou, et qui offre du haut de ses vieux murs en terrasse une des plus belles vues de France. En face de cet horizon, ils me racontaient, les livres qu’ils commençaient à méditer sur les célébrités locales, Paul Déroulède et Ravaillac.

Mais en Charente, les Tharaud n’étaient pas réellement chez eux. Leur mère était venue s’installer à Angoulême après des revers de fortune ; elle avait choisi pour l’éducation de ses fils le séjour de cette ville où son père avait été proviseur du lycée. Ainsi leur maison d’Angoulême ne leur peignait que l’exil, la gêne, le collège, où les jeunes gens se sentaient tristement prisonniers : et au contraire leur petite patrie, leur cher pays du Limousin, les heureuses vallées où ils avaient vécu enfants, prenaient dans leur mémoire une magie de paradis perdu.

Charme des impressions d’enfance ! De toute la littérature française, les Tharaud préféraient, je crois, les premiers livres des Mémoires d’outre-tombe, à cause de ce qu’ils y retrouvaient d’eux-mêmes. Depuis lors, le seul livre dont je les aie entendus faire le même éloge, c’est ce merveilleux Prime jeunesse de Loti, un des plus purs chefs-d’œuvre dont puisse s’enorgueillir une langue qui en compte tant d’immortels. Peut-être certaines pages de la Maîtresse servante ont-elles quelque chose de cette qualité-là, et c’est ce qui les met à part dans l’œuvre des deux frères. Dans leur pays de Saint-Junien, ils eurent ce début lumineux de la vie qui forme pour le reste de l’existence un fond, un halo de bonheur, une réserve éternelle de fraîcheur et de poésie. Pourtant ces discrets écrivains ne nous ont pas fait encore le vrai récit de leurs souvenirs. Ils ne nous ont pas donné ce « roman de deux enfants » qui serait l’histoire de leur jeunesse et de leur vocation. Ce que j’en sais, je l’entrevois à travers certaines phrases de leurs confidences et de leurs livres : enfance paresseuse, enchanteresse, dans un pays secret,