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SILHOUETTES CONTEMPORAINES

VIII [1]
JÉRÔME ET JEAN THARAUD

Il y avait une fois deux frères qui, à quinze ans, écrivaient un journal intitulé les Deux Pigeons et s’aimaient en effet d’une amitié si tendre qu’on les voyait toujours ensemble et qu’ils ne formaient en vérité qu’un être à deux visages. Même si par hasard on n’en rencontrait qu’un, il restait toujours dans celui-là un peu de l’autre, si bien qu’on ne savait jamais exactement lequel était Jérôme et lequel était Jean. Ils n’avaient jamais eu qu’une bourse et qu’un logis, jamais fait que les mêmes choses, jamais écrit que les mêmes livres ; si l’un avait fait un voyage, le second voyait par ses yeux et signait sans mentir les descriptions du voyageur. Tout ce qui passait par les sens du premier, l’autre l’éprouvait par sympathie : c’était un appareil que la nature avait fait double, afin de le rendre plus sensible ; tandis qu’eux, par économie, de cette double vision ne faisaient qu’une image, où se confondaient les nuances de leurs impressions fraternelles. Toujours en route, si par hasard on les savait de passage à Paris, on ne manquait pas de les inviter dans quelque maison amie : mais ces soirs-là on était sûr de ne voir paraître qu’un des deux frères parce que, dit la légende, ils ne possédaient en commun qu’un habit. Aujourd’hui

  1. Voyez la Revue des 15 janvier, 15 mars, 15 avril, 15 mai, 15 juin, 15 juil-let 1920, 15 juin 1921.