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la journée, en attendant le Du Chayla, venu à 9 heures du soir de Mogador pour nous prendre.

Cela ne va pas à Mogador, où le Desaix porte sa compagnie de débarquement, et où le Sultan envoie quelques centaines d’hommes.

Le Du Chayla, commandant Benoist, empressé et charmant. Vous vous souvenez que c’est le Du Chayla qui vint à la première heure appuyer le Galilée à Casablanca. On y revit les heures tragiques. Dans l’entrepont, sur une plaque de cuivre, les noms des hommes tués à l’ennemi. J’aurais voulu y retrouver le lieutenant de vais-seau du Petit-Thouars, dont le froid courage est désormais là-bas légendaire : il vient d’être rapatrié. Mais un télégramme apporte aujourd’hui même deux croix de chevalier, l’une pour le médecin du bord, l’autre pour l’enseigne de Gailhard-Bancel, fils du député, presque un enfant, charmant et modeste. Nous les fêtons. On me présente un quartier-maître et un timonier qui ont été blessés et médaillés ! — Et c’est la bonne atmosphère ! On vit ici, on y respire à pleins poumons.

Je ne vous ai pas parlé de Casablanca. Je ne vous en parlerai pas. Bien des choses m’y étonnent, mais je n’y suis pas allé voir, je n’y connais ni le terrain ni la situation, j’ignore les instructions de Drude ; il n’y a donc qu’à s’abstenir.


Mercredi, 23 octobre.

À bord du Du Chayla, 9 heures soir.

J’écris dans le salon du commandant. La porte de la galerie extérieure est large ouverte sur la nuit. Nous quittons Gibraltar. La grande masse sombre nous écrase. Sous le disque plein de la lune, la dure silhouette, posée sur la mer, se détache nette sur le ciel, si clair. À sa base, le noir écran est piqué de mille feux. C’est incomparablement beau et majestueux.

Nous y avons fait trois heures de promenade. Puissance anglaise ! Cette force, cette certitude de soi, cette sécurité de domination étreignent le cœur, comme à Aden, comme partout où, de par le monde, ils se sont posés… pour toujours, dirais-je, si le mot pouvait se dire d’une chose humaine.

Six grands croiseurs étaient dans le port, solides, trapus, bas sur l’eau, tous identiques. Hélas ! le hasard faisait qu’aujourd’hui quatre de nos bateaux étaient en rade, le Du Chayla, le Forbin, le Cassini et le Lalande, assortiment d’échantillons disparates,