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rendaient, — que nous ne l’avions pas gâté à cet égard, et que c’était bien là le « modèle » à lui montrer désormais.

Pendant notre entretien, la canonnade avait recommencé. Il n’avait pas sourcillé ; M. Regnault, d’accord avec moi, jugea opportun de la lui signaler, et l’on parla très froidement du combat engagé à soixante kilomètres de là entre nos troupes et ses sujets. Vous avouerez vraiment que cette ponctuation donnait à notre causerie un tour tout particulier.

Ce matin, à l’aube, on est parvenu à nous passer, par signaux à bras, un bref télégramme. Drude est rentré au camp à six heures, ayant deux tués, dont le capitaine Ilher, du 1er chasseurs d’Afrique, charmant officier, plein de valeur, d’entrain et d’avenir ; six blessés, dont un grièvement ; c’est tout ce que nous savons, et c’est tout ce que nous saurons, tant qu’aucun papier ne pourra passer. C’est vraiment trop peu, et cela serre le cœur d’être dans une telle obscurité, si près de ces choses graves, dont, à l’heure où j’écris, vous savez certainement beaucoup plus que nous. Drude a-t-il eu affaire simplement à une tribu voisine, ou bien à la méhalla de Moulay Hafid, ce qui dessinerait la situation d’une façon décisive ? A-t-il infligé un véritable échec ? Pour tout ce qui se fait ici, à Rabat, c’est d’une importance capitale ; et de ne rien savoir, coupés du monde par cette barre stupide, non vraiment, c’est odieux ! — vous le comprenez de reste !


Ma besogne ici est terminée ; j’ai vu le Sultan et ses ministres autant qu’il a fallu pour donner de leur voisine d’Algérie une impression loyale et cordiale comme on le désirait. J’ai mis au point avec M. Regnault toutes les questions communes, nous avons échangé toutes les notes nécessaires. J’ai hâte de partir, — et nous voici, nos valises bouclées, n’attendant plus que le bon plaisir de la barre.

Segonzac suggère avec à-propos une invocation au « Maître de la mer. » À son défaut, j’évoque son cher parrain, en lisant le Figaro du 2 octobre[1], qu’apporta le dernier courrier. Ah ! mon cher ami, où donc mieux qu’ici s’associer à votre belle protestation ?

  1. Ce numéro du Figaro commençait par un article dans lequel E.-M. de Vogué dé-nonçait l’absurdité de la mesure récente qui avait supprimé « l’Histoire Sainte » du pro-gramme de l’Enseignement primaire. Ce bel article n’a pas été recueilli en volume. Son actualité ne s’est pas affaiblie.