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visite si malencontreusement empêchée mardi dernier. J’y suis allé seul avec M. Regnault et l’interprète. Il s’agissait de laisser Abd-el-Aziz sur une impression de confiance personnelle à mon égard. Il parait que ma réserve, pendant nos premiers entretiens, où j’avais, par discré-tion, attendu ses interrogations et laissé parler M. Regnault, m’avait donné l’air rébarbatif aux yeux de ce grand enfant timide en quête de sympathies. Allons, soit ! je serai bavard et gentil tout plein. Un chaouch à cheval, à ma droite, ne me quitte pas des yeux, afin d’empêcher quelque chameau, bourricot ou por-tefaix malencontreux de heurter mon pied précieux. La blanche ville me paraît plus exquise encore après ces quatre jours de claustration ; la journée est transparente ; l’œil et l’oreille per-çoivent les couleurs et les sons avec une acuité intense ; et voici que tout à coup, tandis que nous chevauchons, nous vient du Sud un coup de canon, puis deux, puis trois, — nous en comptons douze, — Casablanca !...

Comme nous montions à cheval, un télégramme sans fil de l’amiral Philibert nous annonçait que Drude partait avec son artillerie, pour dégager une reconnaissance attaquée. Ça y est ! Impression que vous devinez, pour un soldat, d’entendre les camarades se battre si près, et de faire l’imbécile à aller discourir ! Le canon s’est tu : voici la porte du Dar Maghzen ; les grandes cours, longues à traverser à pied entre le bras de M. Regnault et ma canne ; le pavillon charmant où nous attend Abd-el-Aziz. M. Regnault a voulu, cette fois, que je parle seul. Je me suis mis aux ordres du Sultan, et j’ai été tout à fait surpris de la précision et de l’intelligence des questions qu’il m’a posées sur la frontière, sur le dernier combat d’Oudjda, sur ses Amels qu’il connaît bien. J’ai pu avoir là une véritable conversation « d’affaires, » à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Il m’a résumé de la façon la plus claire les entretiens que j’avais eus précédemment avec Si Sliman, me parlant du droit de suite, de l’organisation de la police, de l’application des accords, comme de choses qu’il connaît bien, et non comme d’une leçon apprise. Ceci est vraiment très important, car on se rend compte que si ce garçon était dirigé, bien entouré, s’il se sentait appuyé, si on lui apportait enfin la certitude d’un concours suivi d’un appui ferme, on aurait là, à condition d’y mettre beaucoup de discrétion, d’adresse et de sym-pathie (je tiens à répéter le mot), le meilleur agent pour acquérir enfin dans ce Maroc la situation