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complet. Je fais un effort surhumain pour mettre ma tenue et chausser mes pantoufles. Pas moyen. Je me trouve mal et il faut me résigner à envoyer mes excuses à Sa Majesté et à faire venir le médecin, qui me déclare que j’en ai pour quelques jours d’immobilité absolue. Il n’y a qu’à prendre la chose philosophiquement. Le temps est devenu exécrable, la barre est infranchissable jusqu’à nouvel ordre. Nous sommes bloqués, et mon pied sera remis avant que la porte soit rouverte.


Jeudi, 17 octobre.

Me voici donc immobilisé depuis deux jours. Un aimable médecin, le docteur Mauran, ex-candidat à la députation à Mostaganem, échoué depuis deux ans au poste officiel de médecin français à Rabat, me masse le matin, me masse le soir, et m’en donne pour huit jours. J’espère bien m’en tirer à moins. Dans mon infortune, j’ai beaucoup de compensations, et en somme je juge déjà que mon entorse est un accident heureux. Jusqu’ici, c’avait été la bousculade : repas nombreux et interminables à la Légation, promenades officielles, visites ; pas moyen de se recueillir et de mettre les choses en ordre. Depuis deux jours, je suis étendu sur un matelas, on vient du matin au soir causer sérieusement, tranquillement ; et mon information se complète d’une fa-çon inespérée.

M. Regnault, tout à fait affectueux et confiant, est venu hier et aujourd’hui me donner de longues heures de tête-à-tête, ce qui avait été difficile jusqu’ici. Il est toujours sur les charbons. Depuis quatre jours, aucun courrier, aucun télégramme n’a pu franchir la barre. Nous sommes absolument sans nouvelles et il attend, avec quelle impatience ! les réponses de Paris à ses adjurations de prendre nettement parti pour Abd-el-Aziz, de lui donner un appui effectif, — et avant tout l’avance d’argent indispensable pour parer au plus pressé. Si Paris continue à faire la sourde oreille, la situation ici va devenir tout à fait impossible, et nous avons vraiment de la chance que ces gens, qui, heureusement, restent toujours polis, ne nous mettent pas à la porte pour être venus nous moquer d’eux. — D’autant plus que le Sultan serait parfaitement en droit de nous dire que nous sommes les premiers responsables de la situation critique à laquelle il se trouve acculé. Nous lui avons imposé à Algésiras de ne plus emprunter d’argent qu’à notre banque d’Etat ou