Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Lundi, 14 octobre.

Visite à Salé, la ville d’en face. Nous y allons en grande bande, toute l’ambassade civile et militaire, et, naturellement, satellites obligatoires de nos moindres déplacements, les journalistes. Et c’est très com-pliqué. Il faut faire traverser l’estuaire, à nos personnes d’abord, ce qui n’est rien, mais à nos chevaux, une vingtaine, et à ceux de l’escorte d’honneur, sans laquelle, de par le protocole, le ministre ne peut ici faire un pas au dehors. Et l’embarquement dans les chalands de toute cette cavalerie est une opération plus difficile que l’embarquement de tout un régiment. Cris, imprécations, bataille, absence complète de direction. Ça dure deux heures ; nous sommes dans nos canots, horriblement impatientés ; le seul d’entre nous qui, par sa connaissance de la langue et son autorité locale, pourrait imposer un peu d’ordre et d’activité, c’est le consul, mais il est depuis six ans à Rabat, est imprégné de l’ambiance marocaine, et il trouve cela très naturel. Les mains croisées sur les genoux, il regarde nos impatiences avec pitié et ne bronche pas.

Enfin nous voici de l’autre côté. En grand apparat, visite au gouverneur. C’est un gros négociant, qui a passé sa jeunesse à commercer à Oran, a poussé jusqu’en France. Il habite une maison cossue du même style hispano-mauresque que celles de Rabat ; en homme qui a voyagé, il l’a remplie de bibelots d’Europe, c’est-à-dire de tout un assortiment de verres, de tasses, de boites à musique, de tout ce qui fait le fond de la « boutique à treize » dans une foire de campagne. Parmi les charmants revêtements de faïence aux reflets métalliques, sous les délicieuses arabesques des frises, cela contraste un peu, bien que ces rapprochements ne soient certainement pas plus disparates que chez nous, où beaucoup de nos bibelots exotiques feraient aux indigènes une impression semblable à celle que nous éprouvons en voyant chez eux à la place d’honneur un couteau de cuisine ou un verre de deux sous.

Le gouverneur nous fait les honneurs de sa ville, riche, propre et où aucun Européen ne réside : on en tire grand honneur. Il nous mène ensuite dans la campagne : un grand aqueduc, construit il y a des siècles, soigneusement entretenu, amène a Salé l’eau potable et, semées dans la verdure, des ruines émergent des oliviers, débris d’arcs, de minarets, de murs d’une