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de bronze émergeait seule avec des yeux fixes, luisants. Etait-il malade ? Non. Il nous regardait et il nous haïssait.

Je suis revenu par la lande immense et déserte, en longeant les grands murs extérieurs, où tous les cinquante mètres se dresse une tour crénelée comme dans les images de Viollet-le-Duc. Au delà, c’était le camp de la méhalla [1], la pauvre méhalla, qui est sortie aujourd’hui de l’enceinte pour commencer demain un mouvement au Sud contre Moulay Hafid. Elle n’ira pas loin. C’est navrant de la voir. On sent qu’il n’y a rien là, mais rien du tout, ni soldats, ni chefs, ni confiance, ni direction, rien de l’organisation automatique qui fait marcher quand même les troupes régulières, rien davantage du souffle endiablé qui mène au succès les hordes irrégulières.

Et ce soir, après diner, c’était autre chose. Le ministre de France donnait un thé à la colonie française. Surprise de rencontrer là, au lieu du contingent colonial habituel d’employés et d’épaves, une dou-zaine de jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans, venus de tous les points de la France, Or-léans, Paris, Lyon, Nancy, pour se mettre ici en apprentissage dans les maisons de com-merce et y apprendre les affaires. Tels j’ai vu de jeunes Anglais et de jeunes Allemands dans les escales d’Asie et à Madagascar ; mais c’est la première fois que je rencontrais cette forme de Français. Et tous éveillés, ouverts, de bonne instruction, de bonne tenue, confiants, laborieux, prenant la vie au sérieux et gaiement. Je me suis délecté à causer avec eux. Mon Dieu, mon Dieu, que notre race a donc encore de ressources, et quelle navrance qu’elle soit ainsi sans pilote et sans bous-sole !

Et M. Regnault fait vraiment là excellente figure. Il comprend, il sympathise : c’est un homme d’affaires, merveilleusement rompu aux choses commerciales. C’est un positif. Je ne l’ai encore entendu en huit jours prononcer ni un toast ni un discours, et ma foi ! en ce temps de verbiage continu.il me semble que c’est assez caractéristique : en revanche, une familiarité de bon aloi, les mots qu’il faut, et, certainement, dans toute la mesure où il est possible par le temps qui court, il laisse derrière lui un bon sillage de réconfort et de solidarité nationale.

  1. L’armée.