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à Paris, pour les mettre en gage, ses derniers bijoux, dont il ne tirera à peu près rien parce qu’ils sont presque tous faux, conséquence de la formidable escroquerie des flibustiers dont il a été la proie depuis dix ans. Contre Moulay Hafid dont la méhalla fanatique et confiante, sans cesse grossissante, est à deux jours de marche au Sud, tenant sa menace en suspens, à la fois sur nos troupes à Casablanca et sur le Maghzen à Rabat, contre les tribus hostiles, contre la population même qui nous environne, dont la fidélité est si douteuse, il n’a plus qu’une armée dérisoire : elle s’est égrenée de Fez jusqu’ici ; hier, Ben Guebbas nous présentait encore 4 à 5 000 hommes sur le papier ; il n’y en a pas 3000, et c’est un ramassis, sans cohésion, sans organisation, sans armement, sans ressort. Ils sont campés aux portes ; je vais à cheval les voir presque chaque jour. Cela n’a pas de nom ; cela fond à vue d’œil, et il n’y a plus de quoi les nourrir et les payer que pour huit jours.

Dans un tel désarroi, Abd-el-Aziz, c’est indéniable, s’est carrément jeté dans nos bras. Il n’y a pas d’autre motif à l’appel pressant et inusité qu’il a fait d’une ambassade. Il la réclamait, l’attendait avec anxiété. Dès son arrivée, il guettait le bateau qui amènerait le « Bachadour » sauveur, prêt à accorder tout ce qu’on lui demanderait contre un appui effectif immédiat et avant tout contre « la galette. » Dès la première audience, cela fut la grande déception. On lui apportait un discours, un grand-cordon et une bague de diamants, et c’est tout. Ça ne suffit pas et ça se comprend. Depuis les oraisons en quatre points d’il y a deux ans, il commence à trouver que c’est un peu trop de « monnaie de singe. »

On pouvait, dans la crise vitale que traverse le Maghzen, ne pas prendre parti, rester neutre entre les trois concurrents actuels au trône, laisser venir la dislocation, chercher ensuite à en tirer parti. Bonne ou mauvaise, c’était une politique ; elle pouvait se défendre, et, pour ma part, je n’étais pas éloigné de m’y ranger. Mais du moment qu’on décidait d’envoyer ici, au-devant du Sultan en dé-tresse, une ambassade, et une ambassade d’une importance inusitée, on prenait parti. C’était le geste, le geste décisif, la reconnaissance éclatante d’Abd-el-Aziz comme seul sultan légitime. Il fallait aller jusqu’au bout. Si, en effet, nous ne lui apportons pas d’appui effectif, nous l’affaiblissons. Il faut être ici pour se rendre compte à quel point le contact du