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Et tandis que tout à l’heure on murmurait au passage du « roumi » et que les yeux se détournaient, ici on nous salue, on nous sourit, on nous envoie même quelque « bonjour » en français, puisqu’il est entendu que partout, dans cet Islam africain, nous sommes le protecteur du Youdi.

Mais voici que la porte de la dernière enceinte ouvre sur le ciel bleu, si bleu, son grand arc en fer à cheval, et c’est la campagne, l’exquise campagne, sans tramways, sans usines, sans l’ignominie suburbaine qui déshonore nos villes arabes d’Algérie. Les chemins au tracé fantasque, bordés d’aloès et de cactus, courent entre les vignes et les champs d’orge. Un bon galop, détendu et libéré, et nous voici au pied de la noble jumelle de la « Giralda » sur une vaste terrasse, où des arbustes et des plantes folles sortent les colonnes décou-ronnées qui tracent encore les contours de la grande mosquée inachevée. Et cette terrasse est délicieuse ; c’est un de ces coins dont le souvenir se grave pour toujours, un de ces moments de halte reposée dont le voyageur emporte désormais la vision avec lui, vous le savez bien, et où il vient se recueillir, les yeux fermés, aux heures trop lourdes. Nous avons mis pied à terre ; des gamins prennent les chevaux. A nos pieds les deux villes, Rabat, Salé, l’estuaire, le large, et on laisse l’heure couler dans la lumière, dans l’indolence, dans le rêve.

Hier soir, nous étions allés jusqu’à la vieille forteresse de Chellah ; le décor classique d’un burg féodal. La grande porte ogivale flanquée de deux tours crénelées ; il faut être au seuil pour que les pans coupés des tours surmontées de consoles à stalactites, la décoration géométrique des tympans, rappellent que nous sommes ici chez les Sarrasins contre qui se croisèrent les Portugais, et non pas chez les Chevaliers de Rhodes. — Une ville était là, bordant le fleuve ; elle a disparu, il n’en reste que l’enceinte ruinée et un délicieux minaret, émergeant des arbres, au creux d’un vallon : les tombes des anciens Sultans l’environnent ; la nuit nous a pris dans cette solitude où jadis, entre cette porte et le fleuve, autour de ce minaret, vécu-rent des hommes passionnés dans les maisons serrées dont il ne reste rien sur la lande verte.


Jeudi 10 octobre, 11 heures du soir.

Cet après-midi, visites protocolaires aux ministres, chacun dans la maison qu’ils ont louée, — ou, pour être plus exact,