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Vous avez bien une carte du Maroc ; vous y voyez que Rabat est à l’embouchure de l’oued Bou-Regreg qui baigne le pied des maisons, tandis qu’au Nord la mer bat le pied des vieilles murailles. — De l’autre côté, Salé, la douce ville aux jardins, qui s’étale mollement sur des ondulations légères en face de Rabat, farouche et guerrière. Le « Roumi » y est à peine toléré, cantonné dans une seule rue, où s’entassent côte à côte la douane, les consulats, la mission franciscaine espagnole, les auberges, les mercantis ; et encore, cette implantation ne s’est-elle faite qu’aussi dis-crète que possible. — Pas le moindre cadre européen. — Rien, grâce à Dieu, qui évoque la « maison de rapport ; » tout cela s’est collé dans les maisons arabes sans les altérer, et n’étaient les écussons des consulats, les vestons et les panamas qui apparaissent aux seuils, rien ne distinguerait cette rue des autres.

Nous sommes allés d’abord au saillant de l’embouchure du fleuve, à la pointe de la casbah des « Oudaïa, » vieille casbah du moyen âge, remplie des vestiges de la plus noble architecture mauresque : les monuments de Rabat sont connus, comme vous le savez : ce sont les frères de ceux de l’Andalousie. La porte monumentale de la Casbah des « Oudaïa, » la décoration de son tympan, les tours crénelées, sont de l’art le plus pur, et les teintes rouges parées de verdure sombre que leur ont données les siècles s’opposent à la blancheur éclatante de la ville.

Mon Dieu, que cette ville est blanche ! C’est à se demander si on l’a repeinte pour l’arrivée du Sultan, tant cette blancheur des minarets, des ter-rasses, des coupoles est immaculée. Au fond, au Sud, derrière les dernières terrasses blanches, surgit une grande tour rouge, carrée, qui domine tout. C’est la tour « Hassan, » la sœur de la « Giralda » de Séville, construite par le même architecte, vestige inachevé des splendeurs disparues. Nous y allons en sortant de la ville par les rues marchandes, où le « caïd mia » (lieutenant de la Garde du Sultan) qui nous guide et nous protège, a peine à écarter des pieds de nos chevaux la foule grouillante. Des échoppes sombres que vous connaissez, toujours les mêmes, à Stamboul comme ici, où tout voisine pêle-mêle, boucheries et selleries, les marchands d’armes et les fabricants de babouches, le quartier juif, isolé par une double enceinte, où vivent, dans l’abjection et la crainte perpétuelle, ces gens vêtus de noir par ordre, chaussés de babouches noires.