Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’ai une telle joie à donner l’accolade à ce cher garçon qui vient avec ses goumiers de faire tant d’honneur à mon « équipe ! » Il n’y a pas eu depuis deux mois un « retour de Casablanca » passant par Oran, qui n’ait chanté leurs louanges ; ils tiennent le record : j’en suis très fier, car lui, ses deux lieutenants, ce sont vraiment mes fils, — je connais presque tous leurs goumiers un à un ; — et Berriau nous captive à nous raconter la bravoure de ses « irréguliers, » leur entrain, leurs fantaisies, leurs commentaires, les apostrophes homériques qu’ils échangent en combattant, la spontanéité primesautière de ces grands enfants, dont rien n’a changé l’âme depuis les temps chevaleresques, et qui vont au feu comme on va à la noce.

Cet après-midi, débarrassé des oripeaux officiels, en leggins et en veston, j’étais monté à cheval avec Berriau et Delmas en petite tenue pour aller faire le touriste. Je passe chez le consul pour le prendre comme il était convenu. Ma stupéfaction en y arrivant d’apprendre de lui qu’il m’emmène chez le Sultan, et comme je lui montre ma tenue plus que négligée, pensant qu’il plaisante, il réplique que c’est tout à fait dans la note, que le Sultan vient de lui faire dire qu’il voulait voir dans l’intimité M. Regnault et moi, et que nous allons prendre en passant le ministre, lui aussi en veston et en leggins. Allons, soit, mais c’est inattendu. Et nous voici avec M. Regnault, Jessé-Curely, le consul et mes deux officiers, sans aucun cérémonial, sur un chemin de faubourg, bordé de jardins, de fontaines, allant au Palais (?) du Sultan, à l’Est de la ville, cette fois en pleine campagne. Un grand mur, une porte, un vaste espace, vrai champ de manœuvres, où des troupes sont campées ; au fond des bâtiments d’habitation, l’aspect d’une ferme, la résidence d’un leude franc, rustique et primitive. Un jeune nègre superbe nous attend au seuil d’une cour, une dernière porte s’ouvre, et c’est une apparition de la Bible, une longue terrasse pavée de mosaïque, dominant des jardins, longeant un bassin en hémicycle où l’eau susurre, et seule, au fond de cette terrasse, la silhouette blanche d’Abd-el-Aziz nous accueillant d’un geste amical. Et nous nous trou-vons, sous un joli péristyle de très pur style arabe, familièrement assis, sans aucun apparat, tous les six autour de lui, sans un témoin indigène, avec le consul pour interprète. Et ç’a été une heure et demie de causerie, dont le ministre de France faisait les frais. Oh ! ce n’était pas palpitant ;